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Les capacités de la mémoire de travail

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Les capacités de la mémoire de travail

Pourquoi les enfants de moins de 7 ans interrompent-ils les conversations d’adultes malgré l’empressement de ces derniers à leur rappeler les règles de la politesseou la promesse d’une sanction ? Tout simplement parce que ces enfants ont une mémoire à court terme et une mémoire de travail insuffisantes pour se souvenir de ce qu’ils veulent dire. Ce n’est donc pas une affaire de manque d’éducation, et la promesse d’une sanction n’aura aucune vertu éducative.

Dans le présent cours, j’aborderai de façon sommaire le développement, le déclin et la capacité de la mémoire de travail avant de les approfondir ultérieurement.

Pour bien comprendre le contenu dudit cours, je conseille aux lecteurs de lire d’abord :

– Introduction à la mémoire de travail

– Organisation et fonctions de la mémoire de travail

 

 

Développement et déclin de la mémoire de travail (1)

 

C’est vers 7 mois que se développe la mémoire de travail.

Vers 6-7 ans, un enfant va découvrir la stratégie de répétition pour conserver les informations dans sa mémoire de travail.

La mémoire de travail augmente de 7% par an dès 8 ans, pour atteindre son apogée à 25 ans.

Le développement de la mémoire de travail correspond à une augmentation de l’activité des lobes frontaux et pariétaux, et à la myélinisation des neurones qui assurent la connexion entre ces lobes. L’information est ainsi transportée plus rapidement d’un neurone à l’autre via la conduction saltatrice, tout en évitant la dispersion. La myélinisation des axones est donc synonyme de vitesse et sécurité dans la transmission des informations.

A partir de 25 ans, la mémoire de travail décline progressivement. A 55 ans, notre mémoire de travail équivaut à celle d’un enfant de 12 ans.

Apparemment, c’est sous l’action de l’environnement (socialisation et confrontation à la technologie) que l’espèce humaine a connu une croissance des capacités de la mémoire de travail. En effet, l’augmentation de la taille des groupes sociaux conduisait à un accroissement des interactions sociales. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à de nombreux objets technologiques qui nécessitent de savoir comment et pourquoi les employer ; nous regardons des séries télévisées où les personnages sont plus nombreux qu’il y a 20 ans, et où les histoires ne sont pas aussi linéaires ; les jeux vidéo (surtout les jeux de stratégie) demandent de gérer de très nombreuses données et de résoudre de nombreux problèmes. Tout cela fait fonctionner la mémoire de travail.

Bref, c’est la confrontation à un environnement riche qui stimule la mémoire de travail, quand la volonté de ne pas résoudre les problèmes, la faculté à être distrait par des signaux auxquels on ne prêtait pas autrefois attention, l’impossibilité de discriminer l’essentiel de l’accessoire marquent un déclin de la mémoire de travail, sans compter d’autres symptômes possibles.

Si l’âge est le facteur premier du développement comme du déclin de la mémoire de travail, et si la richesse des stimuli est le facteur second, il existe des facteurs conjoncturels qui influent sur les capacités de la mémoire de travail, par exemple le stress, la fatigue, l’humeur, l’état mental.

 

 

Peut-on conserver ou développer sa mémoire de travail par des exercices spécifiques ?

 

Il semble en effet que l’on puisse lutter contre le déclin de la mémoire de travail, et même la développer par des exercices appropriés, pratiqués de manière intensive. Un certain nombre d’études sérieuses, publiées dans des revues prestigieuses à comité de lecture, y font référence. Pour être publiée dans une revue à comité de lecture, une expérience doit être reproductible par les membres dudit comité (des chercheurs de très haut niveau), ce qui est un gage de crédibilité.

Le lecteur pourra se reporter aux notes (2) pour prendre connaissance de deux de ces études, et je lui laisse le soin de poursuivre sa quête via son moteur de recherche favori. D’autre part, j’exposerai les principes de ces exercices et en proposerai quelques-uns.

De nombreux scientifiques émettent toutefois quatre réserves majeuressur l’efficacité de ces exercices :

  • Le nombre d’expériences conduites et la taille de la population testée ne sont pas suffisamment importants pour valider complètement les résultats ;
  • L’augmentation de la performance observée aux tests de mémoire de travail est peut-être due à l’effet Hawthorne, c’est-à-dire que les sujets qui ont conscience de participer à une expérience vont se montrer davantage motivés et faire preuve d’une efficience accrue ;
  • Les résultats d’une expérience en laboratoire, même si ladite expérience reproduite à l’identique donne des résultats identiques, ne sont pas toujours mesurables dans la vie quotidienne. Autrement dit, le transfert n’est pas automatique parce que l’environnement du laboratoire n’est pas l’environnement naturel ;
  • Les scientifiques qui proposent des exercices de stimulation de la mémoire de travail ont créé des entreprises qui vendent ces exercices sous forme de cahier, site Internet ou cd-rom. Par conséquent, il existe un conflit d’intérêt qui pourrait biaiser l’expérience via un protocole inadéquat. Les services marketing de ces entreprises sont assez habiles pour faire croire à un résultat alors qu’ils ne promettent jamais de résultat.

Pour ma part, j’ai pratiqué certains de ces exercices pour me développer, j’en ai conçu d’autres que j’ai administrés aux apprenants de tout âge, pour observer une augmentation des performances cognitives, dont certaines étaient objectivement mesurables par une amélioration des résultats scolaires et universitaires. Il faut toutefois préciser que cela s’inscrivait dans un protocole plus large de développement cognitif qui ne permettait pas d’isoler un facteur par rapport à un autre, quand d’autre part, les exercices spécifiques que j’ai inventés s’appuient largement sur l’apprentissage, or on est certain que l’apprentissage développe la mémoire de travail, à partir du moment où celui-ci est encadré. Mais encore une fois, la vie quotidienne est bien plus riche en stimuli et possibilités qu’un laboratoire ou un cabinet de psychologue, et tout est interactions complexes, aussi est-il fort difficile d’imputer le succès ou l’échec à une tâche à un seul facteur.

Outre les exercices, certains stimulants naturels comme le café influenceraient les capacités de la mémoire de travail via une augmentation de la vigilance donc de l’attention. Malgré tout, le café doit être consommé modérément parce qu’au-delà d’une certaine dose (qui diffère d’une personne à l’autre), cette substance stresse, et le stress intense réduit les performances cognitives.

Notons également que des laboratoires pharmaceutiques sont en train de développer des nootropes, c’est-à-dire des psychostimulants.

En réalité, si on veut faire des exercices pour conserver sa mémoire de travail et lutter contre les effets du vieillissement cérébral (dans le cadre du brain fitness par exemple), ou si on veut la développer pour gagner en efficience cognitive, il faut se poser un certain nombre de questionsessentielles :

  • suis-je prêt à consacrer quotidiennement quelques dizaines de minutes à ces exercices jusqu’à la fin de ma vie(sinon l’effet s’estompe ; c’est le fameux «use it or loose it») ?
  • suis-je prêt à consacrer un budget à ces exercices ?
  • le rapport coût-bénéfice (temps + argent contre résultat) est-il suffisant ?
  • si j’ai commencé un protocole d’exercices, est-ce que je me sens plus efficace (ou tout simplement plus confiant et plus heureux) après 5 semaines (en deçà, on n’observera aucun résultat probant) ?
  • cette efficacité est-elle mesurable et observable dans mes actes quotidiens, pas seulement dans l’efficacité à résoudre les exercices, autrement dit, y a-t-il un transfert ? Quand on s’entraîne à une tâche (exercice, art, etc.), il est normal de s’améliorer à la pratique de ladite tâche, çe n’est pas pour cela qu’on s’est amélioré en général.
  • Est-ce que me confronter à un univers plus stimulant intellectuellement ne suffit-il pas ? Reprendre des cours, produire quelque chose (écriture, art…), rencontrer plus de personnes, voyager, jouer à certains jeux vidéo, etc.
  • Est-ce qu’abandonner certaines pratiques néfastes (mauvaise alimentation, absence d’exercices physiques, absence de relations sociales…) ne suffit-il pas ?

Les réponses dépendent naturellement de chacun.

Mais pour être très honnête, de multiples études indépendantes menées par des chercheurs de haut niveau mettent en doute sans nuance la crédibilité des exercices de stimulation cognitive, j’y reviendrai dans un prochain article. En attendant, vous pourrez vous reporter à l’article qui traite de mnémonistes célèbres qui ont amélioré leur mémoire à court terme, encadrés par des équipes de psychologues.

 

 

Les capacités de la mémoire de travail

 

C’est en 1956 que Georges A. Miller (3) a déterminé la capacité de la mémoire de travail d’un adulte à 7 items +/- 2. Cela signifie qu’on aurait la capacité de gérer conjointement 7 éléments isolés +/-2 avant que ceux-ci ne s’estompent, remplacés par d’autres. Un peu comme si un ordinateur avait la capacité à faire fonctionner simultanément 7 logiciels +/- 2.

En réalité, dans son autobiographie (4), Miller a avoué n’être pas sérieux avec ce «nombre magique», alors que nombre de psychologues et neuropsychologues continuent de s’appuyer sur ce nombre magique. Cowan (5), pour sa part, évalue l’empan mnésique moyen de la mémoire de travail à 4 items environ.

L’empan mnésique (memory span) est le nombre d’items isolés que l’on peut conserver en mémoire pendant une minute maximum (quelques secondes en réalité ; tout dépend du construit qui sert de référence). Elle est mesurée par de nombreux tests.

Les stratégies pour «augmenter» son empan mnésique sont le recours aux chunks et à la mémoire à long terme (on parle même maintenant d’une mémoire de travail à long terme : Long Term Working Memory). Cette mémoire à long terme contient le stock culturel du sujet, ce qui implique donc des différences interindividuelles importantes.

Par exemple, essayez de vous souvenir d’un maximum de lettres ci-dessous en moins d’une minute. Au bout d’une minute, écrivez dans l’ordre les lettres sans plus voir le modèle. Top, c’est parti!

QDFOEIJHFGNMKENDIPIYDNLKNDPIYENPIDHGHBNEMIHDPIHHIMQDFDE

Vous ne devez pas avoir retenu beaucoup de lettres.

Tentez maintenant l’expérience suivante. Nous avons autant de lettres dont il faut se souvenir en une minute que pour l’expérience précédente. Top, c’est parti!

FBICIANASANSACOCAFANTAPEPSIORANGINASONYIBMSAMSUNGSANYO

Ceux qui sont intéressés par les agences américaines, les boissons sucrées, les marques d’appareils électroniques (et qui se sont aperçus de l’astuce) auront sans doute noté plus de lettres que les autres :

FBI-CIA-NASA-NSA-COCA-FANTA-PEPSI-ORANGINA-SONY-IBM-SAMSUNG-SANYO

Et comme ces lettres sont classées par catégories, on s’en souvient mieux que si elles n’avaient pas été classées.

De la même façon, en employant les chunks (le fait de réunir des lettres en groupes ayant un sens, comme dans l’exemple précédent), on se souvient mieux d’un numéro de téléphone. Ainsi, le numéro de téléphone de l’Assemblée Nationale est 0140636000. On s’en souviendra mieux s’il est présenté ainsi : 01.40.63.60.00, encore mieux si l’on sait que l’indicatif de Paris est 01 (on a fait un chunk) : 40.63.60.00, encore mieux si on fait 406. 36000. Notons qu’au Royaume Uni les numéros de téléphones sont présentés sous forme de nombres à 3 chiffres, ce qui est beaucoup plus simple à retenir que les numéros de téléphone en France.

En fait, il n’existe pas un empan mnésique, mais plusieurs, qui dépendent de ce qu’il y a à mémoriser : chiffres, lettres, mots, pseudo-mots, séquences gestuelles…

Une personne qui s’est entraînée intensivement à produire des chunks, encadrée par une équipe de psychologues, a pu se souvenir d’une liste de 81 unités! Mais cela ne lui a donné aucun bénéfice particulier dans sa vie quotidienne. Je détaillerai cette expérience dans un prochain article.

 

 

Qui peut tester la capacité de la mémoire de travail ?

 

Seuls les psychologues et les neuropsychologues disposent des connaissances, des compétences et de l’expérience nécessaires pour tester la mémoire de travail, pour interpréter ces résultats et pour les relier à un travail plus large dans un cadre scientifique. Notons de surcroit que les Présidents successifs de l’American Psychological Association ont rappelé à ces mêmes psychologues de prendre toutes les précautions avec l’emploi de ces tests. La psychométrie est en effet une discipline fragile, et de nombreux chercheurs en sciences cognitives doutent de son caractère scientifique. Mais énoncer la fragilité de quelque chose n’est pas synonyme d’inutilité. Ces tests sont surtout utiles pour détecter des écarts avec la norme, et cela, ils le font bien. En effet, la psychométrie (mesure des capacités de l’esprit) appartient au champ de la psychologie différentielle dont l’objet est de rechercher les différences entre individus. Par conséquent, il est évident que les psychométriciens ont développé des outils et protocoles pour rechercher des différences entre individus… et les trouver ! On peut aussi développer des méthodes et outils pour rechercher des ressemblances et les trouver également. Mais cela semble moins intéressant. Pour toutes ces raisons, et pour bien d’autres encore (6), il convient d’être prudent sur la mesure de l’esprit.

Pour autant, on peut se procurer des tests sur des sites Internet, sur des cd-roms, dans des livres de neuropsychologie que l’on trouvera chez tout bon libraire (voir l’éditeur Pearson), et ce mouvement ira crescendo. Je proposerai aussi via le réseau social de neuropedagogie.com des tests basiques et questionnaires (plus utiles) à destination des formateurs pour détecter les apprenants ayant possiblement un déficit en mémoire de travail, ce qui leur permettra par la suite de les adresser à un professionnel de l’évaluation neuropsychologique. A mon avis, le meilleur test pour évaluer “l’intelligence” d’un enfant est le KABC-II.

La capacité de la mémoire de travail étant un facteur prédictif de réussite scolaire et universitaire, des problèmes de scolarité peuvent être liés à un déficit en ce domaine, ce dont enseignants, parents et apprenants ne sont pas informés. Entre 10 et 15% des élèves ont un déficit non détecté. Attention : il ne faut pas conclure qu’un problème scolaire (dans le cas d’un élève qui travaille sérieusement et dont on peut exclure le manque d’investissement) soit automatiquement lié à un déficit en mémoire de travail. Le problème peut être ailleurs, notamment dans le cas de troubles de type aphasique, peu détectés dans les établissements scolaires. Bref, si un élève sérieux ne réussit pas à l’école, il est intéressant de consulter un professionnel, tout en n’attendant pas dudit professionnel qu’il ait réponse à tout, ce qui ne remet aucunement en question ses qualités, le cerveau est si compliqué.

 

Notes

(1) Les données numériques sont extraites de The overflowing brain, information load and the limits of working memory de Torkel Klingberg, un ouvrage en anglais à destination du grand public qu’il faut absolument acquérir pour faire connaissance avec la mémoire de travail.

(2) par exemple, l’article Increased prefrontal and parietal activity after training of working memory in Nature Neuroscience (janvier 2004) de l’équipe du Karolinska Institute : Pernille J Olesen, Helena Westerberg & Torkel Klingberg.

Ou l’article Improving fluid intelligence with training on working memory de Susanne M. Jaeggi , Martin Buschkuehl , John Jonides, et Walter J. Perrig in PNAS. Cet article établit un parallèle entre l’augmentation de l’intelligence fluide (présente dans la mesure du QI) et l’entraînement de la mémoire de travail.

(3) George A. Miller The Magical Number Seven, Plus or Minus Two: Some Limits on Our Capacity for Processing Information, Psychological Review 63 (1956) : 81–97. On retrouvera cet article dans son intégralité sur le site cogprints.org.

(4) cité par Nelson Cowan dans l’article What are the differences between long-term, short-term, and working memory?

(5) N. Cowan, “The Magical Number 4 in Short-Term Memory: A Reconsideration of Mental Storage Capacity,” Behavioral and Brain Sciences 24 (2001) : 87–185. On retrouvera cet article sur le site du Dr. Cowan

(6) Stephen Jay Gould : La Mal Mesure de l’Homme, Editions Odile Jacob, 1997

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