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Mécanismes généraux de l’apprentissage

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Mécanismes généraux de l’apprentissage

Pourquoi et comment apprenons-nous ? C’est avec ce cours que nous explorerons un peu plus les mystères de l’apprentissage pour gagner en confiance, sécurité et efficacité.

 

 

1. Une petite histoire pour commencer

 

Il y a quelques années, une maman m’avait demandé de suivre sa fille scolarisée en classe de 3è. Elle avait déjà redoublé deux fois et présentait un comportement assez violent (verbalement et physiquement) avec sa famille, ses camarades et certains de ses professeurs. Au cours de l’entretien la maman me révéla qu’Adeline (j’ai modifié son prénom pour garantir l’anonymat de la famille) était dyspraxique. Auparavant, Adeline avait consulté une neuropsychologue, un neurologue, une orthophoniste. Les examens neurologiques n’avaient rien décelé d’anormal, le bilan neuropsychologique avait conclu à des difficultés au niveau de la mémoire, du langage, de la concentration, et les séances d’orthophonie n’avaient entraîné aucune amélioration. Adeline ne distinguait pas la droite de sa gauche, était très maladroite (difficultés à coordonner les mouvements), communiquait peu ou de manière violente, ne parvenait pas à rester en place. Bref, la maman désespérait, ce qui était compréhensible. Délaissant ce tableau noir, j’ai alors posé une question qui paraissait curieuse : « Qu’est-ce qu’Adeline sait faire ? ». De la poterie ! Certes, Adeline se contentait de reproduire les modèles livrés avec son métier, mais c’était une information intéressante et utile.

Mes premières séances avec Adeline consistèrent en un entretien d’explicitation pour détailler avec une précision d’orfèvre comment elle s’y prenait pour réussir à fabriquer des poteries alors qu’elle échouait dans tant d’autres tâches. L’idée était bien entendu de modéliser le protocole pour l’appliquer aux autres apprentissages. Puis nous avons travaillé ses images mentales, sa concentration, sa mémoire et fait quelques exercices neuropédagogiques; je lui ai enfin donné des cours de français. Adeline avait souhaité arrêter les séances à la fin du second trimestre et je redoutais un échec au brevet, conforté par l’absence de nouvelles.

L’été passa et je reçus à la rentrée suivante un appel de sa maman : Adeline avait été reçue au brevet, elle avait rattrapé plusieurs dizaines de points !

La morale de l’histoire ? Il ne faut pas se poser les questions « est-ce que je peux apprendre ? Est-ce que je peux réussir ?» mais « Comment je dois apprendre ? Quand je vais réussir ?».

 

 

2. Qu’est-ce qu’apprendre ?

 

Sur le plan de la psychophysiologie (la dénomination initiale des neurosciences) d’où est tirée la neuropédagogie (l’application des neurosciences à la pédagogie, à l’apprentissage), apprendre se définit par la capacité d’une cellule vivante à répondre à son environnement. Le résultat de l’apprentissage est l’adaptation.

Chaque cellule vivante – corollairement chaque groupe de cellules -, de la plus simple à la plus complexe est capable d’apprendre, donc de s’adapter à son environnement. Voilà pourquoi, par exemple, certaines bactéries résistent de mieux en mieux aux antibiotiques et sont en compétition permanente avec le corps médical.

Il existe cependant un facteur essentiel, le temps, qui explique que des cellules vivantes sont inadaptées lorsqu’elles n’ont pas appris assez rapidement alors que l’environnement est instable. Se pose subséquemment une question au philosophe : l’instabilité de l’environnement n’est-elle pas entretenue par la faculté d’apprendre, inhérente aux différentes cellules vivantes ? C’est alors que nous apparaît particulièrement pertinente cet aphorisme d’H.G Wells (dans The Outline of History) : « L’histoire de l’humanité devient de plus en plus une course entre l’éducation et la catastrophe ». Avisé notre ami Wells, n’est-ce pas ?

Effectivement, l’éducation et la faculté d’apprendre sont essentielles à l’individu comme à l’espèce ; tout le reste en découle. Malheureusement, peu en sont conscients.

Sous l’effet de l’interaction avec l’environnement, apprendre produit donc, chez l’être humain, une modification du système nerveux central et le plus souvent du comportement.

Je dis « le plus souvent » parce qu’on peut avoir appris sans en fournir une preuve observable. Cette preuve observable s’appelle la performance. Ainsi, lorsqu’on passe une évaluation (un devoir, un test, etc.), on ne mesure pas les connaissances (ou l’intelligence dans le cas du test de Qi), mais la performance au test, au devoir. Toute évaluation, quelle que soit sa nature (devoir, test, étude statistique, etc.) est incapable de rendre compte de la vérité.

Une cellule vivante, un ensemble de cellules vivantes (comme nous, les êtres humains), peuvent très bien avoir appris sans en apporter une preuve observable – la performance – parce que les conditions n’étaient pas réunies pour le faire. Cela s’appelle l’apprentissage latent (latent learning en anglais). Voilà pourquoi des enfants que l’on soupçonnait ne pas pouvoir parler se mettent à parler soudainement et parfaitement à 3 ans ! Ils auraient pu parler bien plus tôt, mais les conditions n’étaient pas réunies pour le faire.

Le système nerveux central est, je le rappelle, composé de l’encéphale (le cervelet, le tronc cérébral et le cerveau) et de la moelle épinière.

Pour savoir ce qu’est vraiment apprendre, je vous invite à lire mon cours : apprendre – informer – connaître – savoir

 

 

3. Aux sources de l’apprentissage et de la mémoire : la loi de Hebb

 

L’apprentissage et la mémoire participent du même mécanisme : la Potentialisation à Long Terme (Long Term Potentiation en anglais), dite « loi de Hebb ». Je vais donc approfondir un peu ce que j’ai introduit dans neurones et cellules gliales. Si vous n’avez pas lu ce cours, je vous invite à le faire avant de poursuivre ci-dessous.

Bon, nous savons que les neurones – des cellules nerveuses – ont pour fonctions de transporter les informations aussi bien que de les traiter.

Nous savons également que la majorité des neurones communiquent (transmettent l’information) entre eux à l’aide de produits chimiques appelés neurotransmetteurs en un point de contact : la synapse chimique. Le neurone qui précède la synapse est appelé présynaptique, et celui qui suit la synapse est appelé postsynaptique.

La Potentialisation à Long Terme est une augmentation du potentiel (la puissance) d’un neurone sous l’effet d’une stimulation suffisamment importante. Le document ci-joint réalisé par l’UQAM (Université du Québec A Montréal) contient d’intéressants dessins qui me rappellent un excellent livre écrit par le professeur N.R. Carlson : Foundations of physiological psychology. Je le recommande vivement à ceux qui veulent découvrir les neurosciences. N’hésitez pas non plus à consulter wikipedia qui est plutôt bien fait sur le sujet.

Environ la moitié des neurones présents dans le cortex sont glutamatergiques, c’est-à-dire qu’ils utilisent un neurotransmetteur excitateur, le glutamate. J’en profite pour signaler que le glutamate est également un additif alimentaire exhausteur de goût qui, consommé en grande quantité, peut provoquer des dommages au système nerveux selon certaines études, mais est innocent selon d’autres. Certaines personnes sont même très sensibles à cet additif et n’ont pas besoin de grandes quantités pour éprouver des troubles plus ou moins sévères. De toutes les façons, il existe une règle : ce que le corps peut synthétiser en nombre suffisant, il n’a pas besoin d’aller le chercher ailleurs au risque de briser l’homéostasie.

L’acide glutamique (l’autre nom du glutamate), suite à un stimulus, est donc libéré dans la synapse et provoque l’excitation du neurone postsynaptique qui s’allume à son tour. Et ainsi de suite. Perception, émotion, rêve et cognition libèrent donc du glutamate dans les synapses.

Les synapses, points de contact entre les neurones, ont donc appris à se renforcer pour s’adapter aux stimuli suffisamment forts de leur environnement. En fonction de ce que nous avons fait, pensé et appris, certaines synapses sont donc fortes parce que sollicitées, d’autres sont faibles parce que peu sollicitées.

Une stimulation conjointe de la synapse faible et de la forte renforce la première : c’est la potentialisation à long terme associative (associative long-term potentiation). C’est grâce à ce mécanisme que nous pouvons apprendre et mémoriser. Du reste, comme je l’ai indiqué dans le cours sur  L’apprentissage social lorsqu’un élève faible est intégré à un groupe d’élèves forts, il progresse beaucoup plus vite sans pour autant perturber l’apprentissage des élèves forts. Du niveau moléculaire au niveau social, il n’y a parfois qu’un pas.

Egalement, la PLT apporte à la pédagogie la preuve physiologique que lorsqu’on apprend quelque chose de nouveau, il faut toujours partir de ce qu’on sait déjà (symbolisé par la synapse forte) pour acquérir ce qui est à savoir (symbolisé par la synapse faible) et associer les deux.

D’autre part, il faut introduire de la variété dans ses apprentissages et stratégies de mémorisation afin de multiplier et renforcer les synapses. L’information (au niveau moléculaire, un signal électro-chimique) sollicitera ainsi davantage de réseaux neuraux.

Sous l’effet de la PLT, trois modifications sont observées :

  • les synapses sont renforcées et changent de forme;
  • de nouvelles synapses apparaissent ;
  • du glutamate est relâché dans le bouton terminal au niveau présynaptique. Et c’est alors que se pose une question : comment ce qui suit influence ce qui précède ? On pense que cela est dû à l’oxyde nitrique (NO) appelé également monoxyde d’azote qui a la capacité à communiquer les messages d’une cellule à l’autre. Ce neurotransmetteur gazeux a également la propriété d’affecter les neurones qui ne sont pas connectés via la synapse.

 

 

4. Les 4 formes d’apprentissage

 

Apprendre est donc une transformation du Système Nerveux Central et du comportement en raison d’une interaction avec l’environnement. Apprendre modifie donc physiquement la structure du système nerveux, par conséquent notre façon de percevoir, penser, planifier et exécuter.

Cette transformation sous l’influence de l’environnement s’opère donc de quatre manières, chacune correspondant à une forme d’apprentissage.

 

4.1. L’apprentissage perceptif

 

L’apprentissage perceptif, que chacun de nos systèmes sensoriels peut assumer, est la plus simple des formes d’apprentissage : c’est la capacité à identifier et catégoriser des stimuli. C’est par exemple noter l’ouverture d’un nouveau commerce dans sa rue (nouveau stimulus), ou une modification de la vitrine d’un commerce existant (stimulus déjà rencontré).

 

4.2. L’apprentissage moteur

 

L’apprentissage moteur a pour effet de modifier une compétence et/ou une performance dans l’accomplissement de tâches motrices.

Plus la tâche est nouvelle, plus les circuits neuraux ont besoin d’être modifiés.

 

4.3. L’apprentissage par stimulus-réponse : le conditionnement

 

L’apprentissage par stimulus-réponse, appelé aussi conditionnement, est l’habileté à exécuter un comportement en présence d’un stimulus particulier. Il se subdivise en 2 sous-catégories :

Le conditionnement classique, pavlovien
Il implique une association entre deux stimuli, un stimulus peu important devenant alors plus important. Par exemple, on peut conditionner un animal à fermer les yeux en produisant un son spécifique. Egalement, par la répétition des messages publicitaires à la télévision, les enfants reconnaissent les marques avant de savoir lire, ce qui influence l’achat.
Le conditionnement instrumental, opérant, skinnerien
Le conditionnement instrumental implique une association entre un stimulus et une réponse, pas entre deux stimuli. C’est grâce à ce processus que nous pouvons anticiper les conséquences de nos actes, donc ajuster notre comportement, soit profiter de nos expériences. Les remises aux clients fidèles reposent sur ce principe, mais aussi les addictions (rôle particulier du noyau accumbens).

 

4.4. L’apprentissage relationnel

 

C’est la forme la plus complexe d’apprentissage. Elle repose sur l’apprentissage des relations entre stimuli.

Note : apprendre sollicite généralement une combinaison de plusieurs formes d’apprentissage.

 

 

5. Pourquoi n’hérite-t-on pas génétiquement du savoir de nos ancêtres ?

 

Si nos enfants les plus jeunes pouvaient hériter de notre savoir à la naissance, nous ne passerions pas autant de temps à vérifier la maîtrise des tables de multiplication ! Mais voilà, l’information ne s’hérite pas ; elle s’acquiert.

En réalité, les neurones peuvent effectuer un nombre de connexions supérieur au nombre d’atomes dans l’univers. Chaque neurone communique en moyenne avec 10 000 de ses confrères, et des neurones peuvent même effectuer 100 000 connexions en même temps. Le nombre d’informations que peuvent traiter et transporter les neurones dépassent donc en Mégabytes ce qu’il est possible de concevoir. En revanche, le génome humain ne contient que 750 mégabytes. Voilà pourquoi on ne peut pas hériter de connexions préprogrammées.

 

 

6. Pourquoi plus on vieillit, moins on apprend vite ? Pourquoi les jeunes apprennent-ils plus rapidement ?

 

La réponse est assez simple. Rappelons qu’apprendre a pour objectif de produire un comportement qui permet à un organisme de s’adapter à son environnement. Or, plus on passe de temps à apprendre, plus on est adapté à son environnement alors qu’un jeune organisme n’est pas encore adapté.

Plus précisément, pour s’adapter, un jeune organisme doit tirer une règle générale des cas particuliers qu’il rencontre dans son environnement, autrement il pourrait difficilement survivre. Si l’enfant entend son papa le gronder, il conclura que tous les papas grondent et pourra ainsi adapter son comportement face aux mâles adultes. Si l’enfant constate que sa maman fait appel à son papa pour le gronder, il conclura que les mamans n’ont pas d’autorité.

Je gage que si un environnement est durablement instable, les organismes les plus âgés acquérront de nouveau la capacité à apprendre rapidement.

D’autre part, apprendre plus lentement n’est pas intrinsèquement mauvais. En effet, un apprentissage rapide repose sur l’acquisition de cas particuliers pour en tirer une structure générale. Mais lorsque l’apprentissage est trop rapide, chaque événement apparaît comme unique, et l’organisme pourrait échouer à détecter la structure générale. Or un apprentissage lent (synonyme de modifications synaptiques lentes) permet de détecter directement les structures générales.

Si dans d’autres cours j’ai évoqué le rôle majeur de l’hippocampe dans l’apprentissage et la mémoire (mais j’aurais l’occasion d’y revenir), je précise ici que des chercheurs pensent que la diminution des facultés d’apprentissage au long de la vie serait due à une diminution de la production d’acétylcholine, un neurotransmetteur.

Enfin, plus le cerveau dispose de connexions, plus il est capable de détecter les structures dans son environnement.

 

 

7. Deux pédagogies différentes selon l’âge du public

 

De la règle précédente découlent deux types de pédagogie selon l’âge du public auquel on s’adresse :

  • Pédagogie inductive : plus le public est jeune, plus il faut adopter une pédagogie basée sur l’expérimentation et l’observation (learning by doing) afin qu’il en tire une règle générale ; il faut donc éviter de lui donner la règle;
  • Pédagogie déductive : plus le public est âgé, plus au contraire on donne la règle.

D’autre part, quand on s’engage dans l’apprentissage d’une nouvelle discipline, il est préférable d’y consacrer d’abord beaucoup de temps (afin de provoquer des stimuli suffisants au niveau des synapses qui induiront la Potentialisation à Long Terme), pour ensuite décélérer.

Enfin, il est assez peu productif de proposer aux jeunes organismes des discours généraux (sur la morale ou toute autre règle) pour les raisons évoquées plus haut : ils ont besoin d’exemples concrets dont ils vont extraire eux-mêmes la règle générale.

 

Sources bibliographiques

Il y en a vraiment beaucoup, mais les deux livres ci-dessous sont rédigés dans un langage clair et accessible à tous. Je les conseille vivement :

N.R. CARLSON : Foundations of physiological psychology

M. SPITZER : The mind within the net models of learning, thinking and acting

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