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Introduction à la mémoire de travail

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Introduction à la mémoire de travail

Si nous savons tous ce qu’est la mémoire à long terme, la mémoire de travail nous est davantage inconnue. Elle est pourtant essentielle pour réaliser les tâches cognitives.

 

Cette introduction à la mémoire de travail remplira une triple mission :

  • découvrir la notion de mémoire de travail
  • tenter de définir ce concept
  • différencier la mémoire de travail de la mémoire à court terme.

 

 

Découvrir la mémoire de travail

 

Vous écoutez un discours tout en prenant des notes.

 

Vous effectuez toute opération mentale qui consiste à classer, organiser, ordonner, hiérarchiser, trier, comparer des données.

 

Lorsque vous parlez, on vous interrompt, puis après avoir répondu à cette sollicitation, vous reprenez au point où vous étiez. De la même manière, lorsque vous lisez un livre et que vous êtes interrompu, vous pouvez reprendre au paragraphe ou à la phrase où vous étiez.

 

Vous vous souvenez du début de cette phrase tout en la poursuivant, ce qui vous permet d’en comprendre le sens. Lorsque le texte intègre de nombreux pronoms, vous savez quels noms ou groupes nominaux ils remplacent.

 

Si vous êtes capable de telles performances, comme de nombreuses autres non listées ci-dessus, cela est dû à votre mémoire de travail.

 

 

Une analogie commune

 

Votre ordinateur est composé de deux sortes de mémoire (que les informaticiens me pardonnent cette explication simpliste et sans doute inexacte) :

 

  • Une mémoire qui stocke les informations (textes, images, sons) et logiciels : le disque dur. Même si votre ordinateur est éteint, les informations enregistrées, mais aussi les logiciels, demeurent présents sur le disque dur. Cette mémoire est quasi-permanente.
  • Une mémoire qui sert à manipuler/utiliser les informations et logiciels stockés sur le disque dur : la mémoire vive (R.A.M. : Random Access Memory). Elle va chercher les informations sur le disque dur, vous permettre d’enregistrer de nouvelles informations et de nouveaux logiciels, transformer les informations nouvelles et anciennes, et faire fonctionner conjointement plusieurs logiciels. Quand vous éteignez votre ordinateur, toute information présente dans la mémoire vive est perdue si elle n’a pas été enregistrée sur le disque dur.

 

Chez l’être humain, on trouve quatre types de mémoire :

 

  • Une mémoire sensorielle qui stocke pour une durée de deux secondes maximum (la durée dépend des construits de référence) les données perçues par les organes sensoriels.
  • Une mémoire à court terme qui stocke les informations de manière passive et temporaire pour une durée inférieure à une minute (la durée dépend des construits de référence).
  • Une mémoire de travail qui stocke et manipule les informations de manière active et temporaire, pour une durée inférieure à une minute (la durée dépend des construits de référence).
  • Une mémoire à long terme qui stocke les informations de manière quasi-permanente, sous certaines conditions. Cependant, à l’inverse d’un disque dur, la mémoire à long terme ne stocke pas une copie des informations perçues et/ou manipulées. Elle les interprète, les recompose, les réorganise, et fabrique même de faux souvenirs ! Sa fiabilité n’est donc pas assurée.

 

La capacité de la mémoire vive (R.A.M.) de votre ordinateur détermine le nombre et la complexité des logiciels et des données qu’il peut manipuler et faire fonctionner en même temps. Lorsque les capacités de la mémoire vive de votre ordinateur atteignent leurs limites, celui-ci se bloque, et il faut arrêter certaines tâches pour libérer des ressources. Un ordinateur avec une R.A.M. importante vous permettra de réaliser des tâches (comme faire fonctionner des logiciels gourmands en ressources) impossibles aux ordinateurs avec une R.A.M. plus faible.

 

Chez un être humain, plus la capacité de la mémoire de travail est importante, mieux il peut raisonner, être créatif, comprendre (etc.), et réaliser certaines tâches qui seraient impossibles pour des personnes à la mémoire de travail faible. Il faut cependant fortement relativiser cette assertion comme nous le verrons plus tard.

 

 

Définir la mémoire de travail

 

Le terme de « mémoire de travail » a été utilisé par Miller, Galanter et Pribram en 1960 dans leur livre Plans and the Structure of Behavior, pour décrire les fonctions du lobe frontal : « This most forward portion of the primate frontal lobe appears to us to serve as « working memory » where plans… can be retained temporarily when they are being formed, or transformed, or executed. » (1)

 

Seulement, ce sont Baddeley et Hitch qui ont popularisé ce concept. En effet, selon Baddeley, la mémoire de travail est « un système qui maintient temporairement et manipule les informations pendant la réalisation de tâches comme la compréhension, l’apprentissage et le raisonnement » (2)

 

En psychologie cognitive, la mémoire de travail peut donc se définir comme la faculté à conserver temporairement des données sans se laisser distraire tout en exerçant une autre activité. La mémoire de travail nous permet ainsi de maintenir les informations accessibles et manipulables pour réaliser une variété de tâches cognitives.

 

En neurosciences, « la mémoire de travail se définirait donc comme l’habileté à maintenir les informations actives pour une courte période, basée sur l’activité continuelle neuronale dans la partie supérieure et la plus antérieure du lobe frontal (le gyrus frontal supérieur et le gyrus frontal médian) et pariétal (autour du sulcus intrapariétal) » (3)

 

Selon Joaquin Fuster, « l’information est retenue dans la mémoire de travail parce que certains neurones sont continuellement actifs » (3)

 

Goldman-Rakic « pense que la mémoire de travail comprend des systèmes parallèles, chacune traitant un type spécifique d’information » (3)

 

Mais malgré les multiples travaux sur la mémoire de travail, celle-ci demeure un modèle conceptuel théorétique.

 

Un modèle conceptuel est une représentation/explication qui découle du processus de conceptualisation, c’est-à-dire de la faculté à se représenter une idée objective et stable, comme à la nommer.

 

Du modèle conceptuel – qui demeure une idée – à sa représentation/ utilisation réelle dans le monde physique et sensible, il y a souvent des différences importantes.

 

Pour être caricatural, mais sans doute plus clair, la mémoire de travail comme la mémoire à court terme n’existent pas en tant que telles. Ce sont des modèles heuristiques, des systèmes qui permettent aux chercheurs d’étudier le fonctionnement du cerveau. Un peu comme si on voyait une forme dans un nuage. Le nuage existe, il prend une forme, mais la forme que nous reconnaissons n’existe pas, pourtant nous la voyons et la manipulons.

 

De plus, même si le modèle de Baddeley et Hitch demeure le plus populaire, il existe d’autres modèles de mémoire de travail, comme nous le verrons.

 

Par conséquent, il n’existe pas de définition universellement reconnue de la mémoire de travail.

 

D’autre part, certains scientifiques réfutent l’existence de la mémoire de travail comme concept autonome. D’autres chercheurs, comme Nairne, vont encore plus loin et soutiennent que la mémoire est une unité qu’on ne peut pas aisément diviser en catégories. Il n’y aurait pas lieu de distinguer mémoire à long terme, mémoire à court terme, mémoire de travail ; les relations entre elles étant trop complexes. En réalité coexistent deux modèles heuristiques populaires : le modèle anglais de Baddeley et Hitch; le modèle américain de Cowan.

 

Pourquoi une telle controverse ? Essentiellement parce qu’il est difficile (impossible même selon de nombreux scientifiques) de mesurer uniquement et directement la mémoire de travail, donc de la reconnaître comme construit distinct. En effet, les tests sensés mesurer la mémoire de travail mesurent en même temps d’autres construits, comme la mémoire à court terme. On infère (= on déduit) donc les capacités de la mémoire de travail des capacités d’autres construits mesurés par les tests. Pour résoudre un test, différents processus cognitifs sont sollicités en même temps que celui qui est sensé être la cible du test.

 

Cependant, la neuroimagerie médicale objective l’activation de zones spécifiques du cerveau, en fonction des différentes activités liées à la mémoire du travail, confirmant le modèle de Baddeley. A chaque activité, sa (ou ses) zone(s). Nous le verrons en détail plus tard. Mais là encore, l’emploi de la neuroimagerie médicale en psychologie est contestée, des chercheurs l’assimilant à la phrénologie.

 

Pour terminer et donner une définition claire, minimale et précise de la mémoire de travail, on peut affirmer que :

  • la mémoire de travail est une mémoire temporaire de capacité très limitée ;
  • elle a pour fonction de stocker et simultanément travailler une donnée (le mot « travail » signifie en philosophie « transformation de la nature », ce qui implique donc une manipulation, une transformation des données ; bref un changement d’état)

 

 

Différences entre la mémoire de travail et la mémoire à court terme

 

La mémoire de travail se range dans la catégorie des mémoires temporaires. Si certains scientifiques distinguent la mémoire de travail de la mémoire à court terme, d’autres ne font plus cette distinction, comme je l’avais souligné précédemment.

 

Pourtant, Cowan s’émeut de la confusion (4)

 

Généralement, lorsqu’elle est faite, la distinction entre la mémoire de travail et la mémoire à court terme repose sur les critères suivants :

 

  • La mémoire à court terme est la capacité à retenir des données pendant un temps très limité (moins d’une minute, la durée dépend des modèles), sans qu’elles soient l’objet d’une manipulation. Lorsque ces données temporairement stockées sont manipulées, transformées, même s’il ne s’agit que de changer leur ordre dans une séquence, il y a mémoire de travail. Il y a donc une fonction de management (fonction exécutive) liée à la mémoire de travail, mais absente de la mémoire à court terme.
  • La mémoire à court terme peut extraire des informations stockées dans la mémoire à long terme, mais elle le fait de façon automatique et sans qu’on en soit conscient, alors que la mémoire à long terme va consciemment chercher ces données à extraire.
  • La mémoire à court terme peut opérer indépendamment de la mémoire à long terme, alors que la mémoire de travail est fondamentalement liée à la mémoire à long terme.
  • La capacité de la mémoire à court terme est inextricablement liée aux domaines visuels et verbaux alors que la capacité de la mémoire de travail est plus indépendante.
  • La mémoire à court terme peut fonctionner indépendamment de la mémoire de travail, mais la mémoire de travail a besoin de la mémoire à court terme pour fonctionner. Dans de nombreuses théories, la mémoire à court terme est un sous-système de la mémoire de travail.

 

Quelques exemples concrets pour mieux comprendre les différences entre la mémoire de travail et la mémoire à court terme :

 

Soit la série de mots suivante : Valérie, Fassika, Mathis, Mohammed, Léa

 

Si quelqu’un énonce oralement cette série et vous demande de la restituer dans l’ordre, vous faites fonctionner la mémoire à court terme. Il n’y a pas eu manipulation des données, puisque vous les avez seulement stockées.

 

Si quelqu’un énonce oralement cette série et vous demande de la restituer par ordre alphabétique, vous faites fonctionner la mémoire de travail. Il y a eu manipulation des données, ici un changement dans l’ordre de la séquence. Vous verrez que cet exercice est plus difficile que le précédent.

 

Soit la série de chiffres suivante : 2 – 51 – 33- 24 -105

 

Si quelqu’un énonce oralement cette série et vous demande la restituer dans l’ordre, vous faites fonctionner la mémoire à court terme. Il n’y a pas eu manipulation des données, puisque vous les avez seulement stockées.

 

Si quelqu’un énonce oralement cette série et vous demande de dire combien il y a de nombres pairs, vous faites fonctionner la mémoire de travail. Il y a eu manipulation des données, puisque vous avez dû éliminer (inhiber) les données non pertinentes.

 

Soit la phrase suivante : « Le nombre d’étudiants en neurosciences cognitives est en augmentation de 20%, pour porter le total d’inscrits à 120 »

 

Si on énonce oralement cette phrase et qu’on vous demande de la répéter, vous faites fonctionner votre mémoire à court terme et votre mémoire à long terme.

 

Si on énonce oralement cette phrase et qu’on vous demande de dire combien d’élèves étaient inscrits avant l’augmentation de 20%, vous faites fonctionner votre mémoire de travail et votre mémoire à long terme. Il y a eu un travail sur les données fournies, elles n’ont pas été restituées à l’état brut.

 

Sources

(1) Goldman-Rakic, Patricia : Neural Basis of Working Memory in The MIT Encyclopedia of the cognitive sciences, p.890

(2) Baddeley, A. D. : Working memory, Oxford University Press, 1986

(3) Klingberg, Torkel : The Overflowing Brain: Information Overload and the Limits of Working Memory, Oxforfd University Press, 2009

(4) Cowan, Nelson :  What are the differences between long-term, short-term, and working memory ?

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