Fondements et principes de la neuropédagogie
La neuropédagogie (appelée Mind, Brain and Education science en anglais), est une discipline qui vise à améliorer l’apprentissage et l’enseignement en établissant un lien entre les neurosciences, la psychologie et la pédagogie (ou l’éducation). Le syllabus de la Harvard Graduate School of Education y a récemment ajouté la Santé. Dans cet article, je vous présenterai une chercheuse et professeure hors-pair, un livre incontournable, et les 20 fondements et 10 principes sur lesquels se base la neuropédagogie.
Aux origines de la légitimité de la neuropédagogie
La neuropédagogie tire sa légitimité et son efficacité de relations mutuelles entre la classe (ou la salle de formation) et le laboratoire afin de savoir ce qui fonctionne vraiment, déterminer pourquoi cela fonctionne, et modéliser les bonnes pratiques afin de les transmettre. C’est ce que l’on appelle « l’evidence-based », soit ce qui est basé sur des preuves scientifiques. Les praticiens (enseignants, formateurs) sont par conséquent complètement impliqués dans ce processus parce que sans eux, rien n’est possible. La neuropédagogie n’est donc pas qu’une affaire de chercheurs dans un labo.
La neuropédagogie tire également sa légitimité d’un panel d’experts Delphi qui se sont prononcés sur un certain nombre de principes qui s’appliquent à tous, c’est-à-dire qui ne dépendent pas de la culture, de l’âge, du genre, de l’ethnie (en Américain, on dit « race », mais elles ne sont pas reconnues en France, alors je l’ai remplacé par « ethnie », sans trop savoir si ce terme est approprié.) Le début de ce document vous présentera de façon très claire les avantages et inconvénients de la méthode Delphi.
Si les principes sur lesquels les experts Delphi se sont accordés s’appliquent à tous, ils ne s’appliquent pas de la même manière. Et c’est là que se situe la difficulté, parce que chaque situation est unique, chaque apprenant est unique.
De l’impérieuse nécessité d’être prudent ; la neuropédagogie est une science, pas une faiseuse de miracles
La neuropédagogie est donc un instrument au service des praticiens, mais ce n’est qu’un instrument. C’est la maîtrise de cet instrument, le savoir-faire (on parle aussi de connaissance procédurale) du praticien qui, comme d’habitude, sont déterminants. Et comme au final seul l’apprenant apprend, on comprend que les relations au sein du fameux triangle pédagogique d’Houssaye (apprenant, enseignant-formateur, ce qu’il faut apprendre) sont complexes et laissent ouvert le champ des possibles.
Cela fait plus de 20 ans que je pratique la neuropédagogie et que je conduis quelques recherches appliquées dans ce domaine, discrètement jusqu’ici. J’ai lu l’équivalent de 400 000 pages d’expériences et théories scientifiques universitaires sur la mémoire, les émotions, la créativité, la résolution de problèmes, etc. Tout ce que je puis dire, c’est que tout cela est bien plus complexe qu’on ne le croit, et qu’on n’a jamais fini d’apprendre.
Alors, certes la neuropédagogie est efficace, mais elle ne peut pas résoudre tous les problèmes et on peut être un bon enseignant et un bon formateur sans neuropédagogie. Il est important de le rappeler.
Tracey Noël Tokuhama-Espinosa, chercheuse et professeure hors-pair
Ceci étant posé, laissez-moi vous présenter une personne que j’estime beaucoup pour ce qu’elle fait autant que pour ce qu’elle est, et que je suis depuis plus de 15 ans. Une personne qui m’a autorisé à traduire pour le public francophone une partie de son fabuleux livre d’où sont extraits les principes de la neuropédagogie sur lesquels se sont accordés le panel Delphi et qui seront dévoilés dans cet article.
Tracey Noël Tokuhama-Espinosa est donc l’une des principales chercheuses en neuropédagogie -elle a fait partie des experts de l’OCDE-, mais c’est aussi une professeure qui cumule une expérience de plus de 26 ans de professorat, de l’école maternelle à l’Université. C’est donc aussi une femme de terrain à l’expérience variée, et cela lui donne une légitimité singulière. K Anders Ericsson – peut-être le plus grand spécialiste mondial de l’expertise – ne me contredirait pas.
Actuellement, Tracey enseigne un cours introductif en neuropédagogie (Mind, Brain and Education Science) à Harvard, pour la Harvard University Extension School.
C’est donc Tracey qui est l’auteure des principes exposés ci-après, ce n’est pas moi. Je préfère insister sur ce point, parce que nous fabriquons de faux souvenirs lorsque nous encodons les informations, et souvent, lorsque je présente les travaux d’autrui, on me les attribue à tort malgré toutes les précautions que je prends. Par exemple, lors d’une formation de professeurs, j’avais présenté les travaux de Stanislas Dehaene, diffusé un extrait de l’une de ses vidéos du Collège de France, pour m’entendre dire : « vous avez dit… » et qui me conduisit à répondre avec humour « non, c’est Dehaene qui a parlé des 4 piliers de l’apprentissage. Moi je suis bien plus drôle. ». J’espère vous faire sourire derrière votre clavier. Les histoires comme celle-ci font partie intégrante de la pédagogie, elles aident à mémoriser (principe du traitement élaboratif ou génératif de l’information).
Tracey Noël Tokuhama-Espinosa présente aussi ses services (en anglais et en espagnol) par le biais d’un site web : http://thelearningsciences.com/site/?lang=en
Un livre qui fait date : Making Classroom Better, 50 Practical Applications of Mind, Brain, and Education Science
Le livre d’où sont extraits les principes exposés ci-dessous est : Making Classrooms Better, 50 practical applications of Mind, Brain, and Education Science : https://books.wwnorton.com/books/Making-Classrooms-Better/
C’est un livre de 389 pages dont 80 pages de sources bibliographiques issues de la recherche universitaire. Comme on mesure la qualité potentielle d’un livre à sa bibliographie (le premier critère de sélection d’un livre), imaginez les promesses de celui-ci.
En l’occurrence, ces promesses sont tenues. Ce livre est suffisamment clair pour faire sens aux novices en neuropédagogie et pour apporter des conseils pratiques, suffisamment riche pour optimiser les pratiques des initiés, et suffisamment pertinent dans la synthèse de maints travaux pour les experts et agirait alors comme une piqûre de rappel.
Making Classrooms Better, 50 practical applications of Mind, Brain and Education Science est donc un livre pour tous les publics, enseignants et formateurs, qui sait rendre abordables des notions très complexes sans prendre le lecteur pour un béotien. Bref, il s’agit d’une œuvre magistrale, dans la droite ligne du non moins excellent Classrooms Instruction that Works : Research-Based Strategies for Increasing Student Achievement de Marzano, Pickering et Pollock.
J’attire votre attention sur le fait que j’ai interprété les principes exposés ci-dessous et rapportés par Tracey. Un contenu aussi complexe rédigé dans une langue étrangère, ne se traduit pas, il s’interprète. Cela nécessite effectivement de connaître le contenu (non pas d’être seulement informé) et connaître la culture source et la culture destinataire. Et comme ce qui suit est présenté sous forme de catalogue, pour qu’il fasse sens et pour que vous puissiez vérifier si mon travail est rigoureux, il faut acheter le livre dont il est extrait. Le catalogue suivant ne saurait suffire.
Extrait de The Guiding Pinciples, Tenets, and Instructional Guidelines of Mind, Brain, and Education Science in Tracey Noël Tokuhama-Espinosa : Making Classroom Better, 50 Practical Applications of Mind, Brain, and Education Science, W.W.Norton & Company, 2014, p.24 et 25
Les 20 fondements de la neuropédagogie (Mind, Brain and Education Science) dont s’inspirent les enseignants et formateurs éminents
• Chaque cerveau est unique et organisé d’une manière singulière
• Les cerveaux ne performent pas d’une manière égale en toute chose
• Le cerveau est un système complexe et dynamique qui se modifie en fonction de ce que l’on fait au quotidien
• Apprendre est un processus constructiviste, et cette capacité à apprendre continue à travers des étapes développementales à mesure que les individus maturent
• La nature humaine cherche le sens
• Les cerveaux ont un haut degré de plasticité et se développent tout au long de la vie
• Les principes de la neuropédagogie (Mind Brain and Education science) s’appliquent à tout âge
• L’apprentissage est en partie basé sur la capacité du cerveau à se corriger
• La reconnaissance de modèles et patterns produit le sens
• Les cerveaux cherchent la nouveauté
• Les émotions sont essentielles pour détecter les modèles (patterns), prendre des décisions, et apprendre
• L’apprentissage est amélioré par le défi et inhibé par la menace
• L’apprentissage implique à la fois l’attention focalisée et l’attention périphérique
• Le cerveau conceptualise les parties et le tout simultanément
• Le cerveau dépend des interactions avec d’autres personnes pour donner du sens aux situations sociales
• Le feedback est important pour apprendre
• Les systèmes mnésiques fonctionnent différemment dans l’encodage et la récupération
• Le cerveau se souvient mieux des faits et habiletés lorsque ceux-ci sont reliés à des contextes authentiques
• L’apprentissage implique un traitement conscient et inconscient de l’information
• L’apprentissage implique l’intégralité de la physiologie (le corps influence l’esprit et l’esprit contrôle le corps)
Les 10 principes qui doivent diriger la conception et le déroulement des cours
• Il est important de rendre les environnements d’apprentissage compatibles avec la manière dont on apprend
• Les bons cours tirent leur efficacité d’une rencontre entre un ordre logique établi par la source (le professeur, le formateur) et le sens que l’apprenant en retire, qui est purement personnel
• Prendre en compte les différents systèmes mnésiques améliore la récupération des informations (le fait de se souvenir)
• Le management optimal des lieux et moments d’apprentissage prend en compte l’empan d’attention (la durée de l’attention)
• Les activités pertinentes prennent en compte le fait que l’apprentissage résulte d’une construction sociale
• Les bons enseignants comprennent que le corps et l’esprit sont liés (sommeil, nutrition, exercices physiques)
• Les bons enseignants savent comment gérer la diversité des étudiants (immersion orchestrée)
• On retient mieux les compétences lorsqu’elles sont apprises par des processus actifs
• L’enseignement explicite des compétences métacognitives permet d’accéder à la compréhension, mémorisation et réflexion les plus élevées sur tous les sujets et dans tous les domaines
• On peut apprendre tout au long de la vie, et il faut le faire
Pour aller plus loin sur la petite histoire de la neuropédagogie :
https://neuropedagogie.com/les-bases-en-neuropedagogie-et-neuroeducation/breve-histoire-sciences-apprentissage-1.html
https://neuropedagogie.com/les-bases-en-neuropedagogie-et-neuroeducation/breve-histoire-science-apprentissage-2.html
Merci Tracey. Make Learning Great Again ?
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