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Leçon 1, Chapitre 1
En cours

TC1.10. L’entrelacement, une révolution pédagogique

Vous vous souvenez des séries que j’ai présentées en introduction : Mad Men, la Casa de Papel, Game of Thrones ?

Ce modèle de série utilise une technique formidable qui s’appelle l’entrelacement (interleaving en anglais) et conduit à une approche non linéaire de ce qu’on voit, écoute et apprend.

Un groupe de personnages vit son intrigue, mais le réalisateur ne laisse pas l’intrigue se poursuivre et passe à un second groupe de personnages qui vit une autre intrigue. Là encore, le réalisateur ne laisse pas l’intrigue se poursuivre et passe à un troisième groupe. Puis il revient au 1er groupe, passe au 3è, revient encore au 1er, passe au second, etc.

Que se passe-t-il dans le cerveau du spectateur ?

  • D’abord la confusion. Il y a plusieurs intrigues, plusieurs groupes de personnages. Cette profusion d’informations est impossible à mémoriser, donc à comprendre. On a l’impression d’être perdu, c’est le chaos dans notre cerveau. Mais cela pose un défi. On aime les défis, cela motive. Quand c’est trop facile, trop lisse, on s’ennuie assez rapidement.
  • Ensuite, vers le 4è épisode, on se surprend à avoir mémorisé les personnages, leurs relations, leur personnalité, leurs objectifs.
  • Enfin, la spectatrice est « accroc », elle en veut davantage parce qu’elle est toujours sur sa faim, elle n’a pas tous les éléments, et il se passe tellement de choses.

Cette profusion d’intrigues et de personnages, le fait de passer des uns aux autres simule un univers riche et vivant où « il se passe toujours quelque chose ». Le spectateur est embarqué dans différentes intrigues, rencontre de nombreux personnages divers. Les chances qu’il s’incarne dans l’un ou l’autre, qu’il revive inconsciemment et métaphoriquement un épisode de sa propre vie sont accrues.

Seul l’apprenant apprend, et on a besoin de son engagement. L’engagement de l’apprenant est l’un des points centraux dans l’apprentissage. Ce n’est naturellement pas le seul point central.

La technique de l’entrelacement, quand elle est bien maîtrisée (et ça demande du temps !), favorise grandement l’engagement de l’apprenant.

On retrouve une première trace de cette technique dans la littérature, et plus particulièrement dans The Life and Opinions of Tristram Shandy, Gentleman, un roman non linéaire – l’un des premiers dans la littérature occidentale – écrit par Laurence Sterne et paru en 1759 !

On notera aussi que les contes africains traditionnels sont par nature non linéaires, ils ne suivent pas le schéma narratif occidental, linéaire. La notion de temps est d’ailleurs fort différente de la notion occidentale. Le temps est celui de l’évènement, ce qui fait que comme Gandalf dans Le Seigneur des Anneaux, un Africain n’est jamais en retard, il est toujours à l’heure de l’événement !

J’ai commencé il y a quelques années des recherches sur la non-linéarité et les systèmes complexes afin d’inventer une pédagogie, et je puis affirmer que l’une et l’autre sont peut-être le Graal que cherche tout formateur, toute enseignante.

L’entrelacement est une des composantes de l’apprentissage non linéaire.

L’entrelacement est une vraie révolution en pédagogie.

Traditionnellement, on présente les informations et les activités de manière linéaire.

Quand on fait son plan, on sélectionne un thème, puis un problème, puis on passe à un problème du thème, peut-être à un troisième, puis au premier problème du second thème, et ainsi de suite. Quand l’apprenant arrive au 2è problème du 2è thème, il a déjà tout oublié du 1er problème du 1er thème.

L’entrelacement diminue considérablement ce risque, et cela a été vérifié expérimentalement.

Par exemple, comme présenté dans l’image ci-dessous, le modèle linéaire de gauche est celui qui est traditionnellement utilisé. Si deux matières sont enseignées (ou deux séquences dans une matière), on les enchaîne : un cours sur l’apprentissage bayésien (3*20 mn) suivi d’un cours sur le circuit de mémorisation (3*20 mn)

Avec l’entrelacement, on va entrelacer les thèmes. Un cours sur l’apprentissage bayésien (20 mn) suivi d’un autre sur le circuit de mémorisation, puis on revient à l’apprentissage bayésien et on enchaîne avec le circuit 2, on revient à l’apprentissage bayésien 3, puis au circuit de mémorisation 3.
La progression non linéaire, obtenue par l’entrelacement produit une performance supérieure. Pour apprendre et enseigner, mais aussi pour bien d’autres activités professionnelles. J’approfondirai tout cela et ne resterai pas que dans le champ de la formation.

Par exemple, vous commencez un projet que vous ne conduisez pas à son terme. Vous vous arrêtez en cours de route, passez au second, que vous ne conduisez pas non plus à son terme. Vous commencez ensuite le troisième projet, puis vous revenez au second, etc.

Vous verrez qu’il y a des chances que votre attention augmente, ainsi que votre motivation, donc votre performance globale. L’attention diminue à mesure que s’installe la routine. Faire des choses différentes stimule l’attention et chasse la routine.

On peut aussi entrelacer la structure de la formation, le syllabus. Plutôt que le modèle cours – application – évaluation, on peut faire le cours 1 puis 2, l’application 1 puis 2, l’évaluation 1 puis 2.

L’entrelacement peut porter sur l’intégralité du syllabus, sur la coopération entre matières. Ex : au lycée, plutôt que faire 2h de maths puis 2 h de français et 1 heure de philosophie, on va faire un peu de maths, un peu de philo, un peu de français, on revient aux maths, puis à la philo, etc.

L’entrelacement s’applique à toutes les disciplines et à tous les niveaux : formation initiale et professionnelle, pour les apprentissages symboliques (mots et images) et sensori-moteurs (peindre un tableau, faire de la poterie, lancer un javelot, faire du tennis)

L’entrelacement correspond au mode de fonctionnement des jeunes qui passent d’un écran à l’autre, d’un sujet à l’autre. Il stimule aussi les plus anciens parce qu’il fait travailler un autre point fondamental : la mémoire de travail et la mémoire à court terme. Ce sont deux mémoires temporaires à la capacité limitée et qui déclinent vers les 45 ans.

L’entrelacement stimule les fonctions cognitives, comme la mémorisation. Découvrez plus de détails, exemples et bibliographie dans la section premium, et n’hésitez pas à vous inscrire aux ateliers.
Si la technique de l’entrelacement est employée depuis longtemps en littérature, plus récemment au cinéma, elle fait ses grands débuts en pédagogie.

Activité communautaire 5 : Les éléments suivants sont issus des travaux de Monique Bookaerts, une chercheuse en éducation, et extraits de l’un de ses documents consacrés aux émotions dans l’apprentissage. Utilisez la technique de l’entrelacement pour retravailler ces éléments. Vous devrez bien entendu rédiger un texte, il ne s’agit pas de lister les points suivants dans un ordre différent. Comparez ensuite votre travail avec celui de vos collègues.

Les stratégies de régulation des émotions

  • Définition : pouvoir utiliser ses émotions pour atteindre un objectif ou modifier ses émotions lorsqu’elles empêchent d’atteindre cet objectif.
  • Stratégie 1 en cas de sentiment négatif : considérer que la tâche n’est pas si importante ni pertinente que cela
  • Stratégie 2 : supprimer l’émotion
  • Stratégie 3 : contrôler l’anxiété
  • Stratégie 4 : employer les techniques de relaxation
  • Stratégie 5 : distraire autrui de ce qui provoque l’émotion
  • Quand employer les stratégies de régulation des émotions ? Avant que les émotions n’apparaissent
  • Quand employer les stratégies de régulation des émotions ? Après l’apparition des émotions
  • Exemple de stratégie de régulation des émotions en usage préventif : dire à un élève qu’apprendre est un processus qui s’inscrit sur un temps long et constant de changement, qu’il existe une résistance normale au changement, que chacun change mais pas à la même vitesse, qu’on change plus rapidement dans un domaine et moins dans un autre, que l’échec et l’erreur font partie du processus d’apprentissage, que les chercheurs échouent souvent avant de réussir, qu’il ne faut pas hésiter à solliciter l’aide d’un camarade parce que toute aide fait partie de ce processus.
  • Exemple de stratégie de régulation des émotions en usage préventif : dès qu’on a détecté ce qui provoque une émotion chez l’élève, le distraire de cette émotion. Si c’est une autre personne qui provoque l’émotion, alors on changera l’élève de place.
  • Exemple de stratégie de régulation des émotions en usage préventif : réévaluer l’importance de ce qui provoque l’émotion. Relativiser la note, le besoin de réussir, l’importance d’une épreuve ou d’une personne ou d’un lieu.
  • Quelles sont les risques de supprimer une émotion ? L’élève peut avoir le sentiment de ne pas avoir de contrôle sur lui, d’être une marionnette, et si cette stratégie est répétée, il peut entrer en déprime puis dépression.
  • Quel impact peuvent avoir les stratégies de contrôle des émotions ? Elles peuvent diminuer les ressources cognitives (attention, mémorisation, compréhension, réflexion…) disponibles lors de ce cours ou le suivant.
  • Qu’est-ce qui peut impacter les stratégies de régulation des émotions employées en classe ? Tout ce qui a façonné l’élève en dehors de la classe : les jeux vidéo, films et séries, les camarades, les parents, les coachs…
  • Que faire quand un élève est souvent empreint à des émotions négatives et ne sait pas les réguler ? Il faut l’aider en lui conseillant d’aller voir un professionnel (dans les cas les plus problématiques bien sûr), en discuter avec lui, l’entourer de bienveillance (donc impliquer ses pairs pour créer une harmonie)