Suède: protection de l’enfant, les dérives d’un système
Le système de protection de l’enfance, en Suède comme en Norvège, a provoqué des ravages irréversibles dont sont victimes les enfants et les familles. Les conditions de ces ravages ont été rendues possibles en Suède par une organisation juridique fondée sur l’amateurisme et l’incompétence des juges de district et des agents des services sociaux, mais aussi sur un pouvoir qu’envieraient les dictatures. C’est ce qui ressort des différents travaux universitaires qui sont présentés dans cet article.
Rappel : cet article est le second de mon enquête sur les dérives du système de protection de l’enfant en Suède et en Norvège. Il ne peut s’apprécier que dans la totalité de l’enquête titrée “Suède et Norvège, dérives d’un système, enfants en danger”.
Cette partie est donc le second volet de l’enquête, dont le plan est rappelé ci-dessous:
Partie 1. Suède et Norvège : l’État enlève les enfants.
Partie 2. Suède: protection de l’enfant, les dérives d’un système.
Partie 3 : Suède et Norvège: business et maltraitance des enfants volés.
Partie 4 : Barnevernet, avatar du programme nazi lebensborn ?
Partie 5 : Aux sources des dérives : politique centrée sur l’enfant, théories psychanalytiques, behaviorisme rigoriste, action des « gourous ».
Partie 2 : Suède: protection de l’enfant, les dérives d’un système
A l’origine la loi LVU avait en Suède l’intention louable de diminuer la violence de certains parents envers leurs enfants, alors que, il faut le signaler, les parents suédois étaient largement de bons parents avant l’adoption de cette loi.
Sur le site officiel qui présente les mesures coercitives à disposition de la protection de l’enfance, on apprend qu’en général, les différends sont réglés par 1 juge professionnel et 3 juges non professionnels. (1) Nous verrons que cela est un peu plus compliqué, ce que n’affiche pas ce site gouvernemental.
(1) http://domstol.se/Funktioner/English/Matters/Compulsory-care/Care-of-young-people-/
Notons que la Suède reconnaît officiellement que le sort des enfants et des familles est confié à 3 juges non professionnels non indépendants et qui représentent en général 3/4 des juges qui ont à décider du destin de ces enfants et de ces familles.
Mais le plus intéressant et le plus révoltant sont à venir.
En effet, dans la prestigieuse édition Oxford University Press, dont les standards de publication sont les plus élevés au monde et dont seuls les scientifiques les plus reconnus ont droit de publier, les chercheurs Gustav Svensson et Staffan Höjer nous renseignent de manière très claire sur le fonctionnement juridique de la protection de l’enfance en Suède.
Afin d’être le plus didactique possible, je vais présenter ces informations (2) sous forme d’un dialogue fictif, mais en épousant parfaitement le fond. Ce dialogue a donc pour fonction de rendre plus clairs et plus agréables des éléments juridiques.
(2) Gustav Svensson et Staffan Höjer, Placing children in state care in Sweden : decision-making bodies, laypersons and legal framework in Child Welfare Removals by The State, a cross-country analysis of decision-making systems, Oxford University Press, 2017
Début du dialogue fictif
Bonjour messieurs Svensson et Höjer (S&V). Vous êtes tous deux professeurs à l’Université de Göteborg, en Suède, et avez de nombreuses publications scientifiques de haut niveau sur le sujet qui nous intéresse aujourd’hui. On peut dire que vous êtes des experts internationaux de la question. J’entrerai donc dans le vif du sujet en vous posant une première question : Etes-vous d’accord avec l’idée que le système de protection suédois est toujours un système orienté vers la famille, comme cela a été le cas dans le passé ?
Cela est très discutable. Dans un système orienté vers la famille, l’État fait tout pour que les enfants demeurent avec leurs parents. Ce n’est plus le cas depuis cette dernière décennie. En 2013, le Social Services Act a renforcé ce virage. Désormais, c’est l’intérêt de l’enfant qui prime, quel que soit son âge.
Quel que soit son âge ? Même s’il a 1 an ?
Même s’il vient de naître.
Mais qui décide de l’intérêt de l’enfant ?
C’est l’État, à travers son administration.
Vous voulez parler de l’État providence ? Pouvez-vous définir l’État Providence ?
L’État Providence se caractérise par des prélèvements élevés et des prestations sociales de haut niveau avec pour ambition que tous y aient accès.
Cela semble séduisant. Est-ce tout ?
Absolument pas. En retour, l’État doit être en mesure de détecter au plus tôt les individus et les groupes en situation difficile. L’objectif est de prévenir les problèmes plus sévères qui pourraient apparaître. L’État est proactif, il s’implique dans les vies des individus et des familles.
Mais en France, les ministres Marisol Touraine et Laurence Rossignol, ont promu récemment une loi qui s’inspire de l’esprit suédois, et lorsque des critiques ont souligné que cela constituait une intrusion dans la vie de la famille et de l’individu, elles les ont balayées d’un revers de la main. Maintenez-vous votre position ?
Nous avons effectivement écrit que l’État Providence est obligé de détecter les situations qu’il juge difficile et d’y répondre au plus tôt. Cela implique d’être intrusif dans la vie des familles et des individus.
Une sorte de 1984, Bienvenue à Gattacca ou un avatar du régime soviétique comme on peut souvent le lire dans les commentaires ?
Nous n’avons rien écrit de tel.
Bien. Comment sont organisés les services sociaux en Suède ?
Les services sociaux sont organisés à l’échelle locale dans les 290 municipalités. Ce sont ces municipalités qui créent et gèrent les services sociaux.
Ces services sociaux locaux ont la responsabilité du bien-être des enfants n’est-ce pas ?
Tout à fait. Chaque municipalité doit avoir un bureau que l’on nomme généralement Social Welfare Board (SWB).
Et qui compose ce Social Welfare Board (SWB)?
Des personnes nommées par le parti politique qui a gagné aux élections locales. Normalement, les délégués nommés au bureau SWB– ils peuvent être 20 -, créent une commission appelée Social Welfare Committee (SWC). Ce SWC est le plus souvent composé de 5 à 8 délégués.
Donc les décisions sont des décisions politiques ?
Normalement non. Les membres du SWC doivent prendre des décisions en dehors de toute considération politique. Dans les faits, nos recherches ont démontré qu’empiriquement, il y avait des décisions politiques, notamment avec la montée récente de l’extrême-droite.
C’est bien cette commission, ce SWC qui prend les décisions concernant les familles et les enfants ?
D’après nos lois, oui.
Mais quel est leur profil ? Ce sont des professionnels du Droit ? Ont-ils des qualifications professionnelles particulières en relation avec les cas qu’ils ont à traiter?
Absolument pas. Aucun ne possède de connaissances spécifiques en Droit ni dans le domaine du bien-être ou de la protection de l’enfant. Ce sont des amateurs.
Qui sont exactement ces personnes ?
Ce sont des personnes plus âgées et plus instruites que la moyenne de la population. Ce sont en général de « bons citoyens », nous avons mis cette expression entre guillemets. Ils sont censés incarner la légitimité populaire.
Vous confirmez qu’ils n’ont pas de qualification dans les professions de la santé ou du secteur social ?
C’est ce que nous avons écrit. Ce ne sont ni des infirmiers, ni des psychologues, ni des assistants de service social, ni des médecins.
Mais ce sont eux qui prennent des décisions ? Ce sont bien des amateurs, qui ne sont pas indépendants mais qui ne disposent d’aucune qualification particulière dans les domaines qu’ils ont à traiter qui décident du sort des enfants et des familles, et ce ne sont même pas des juges professionnels ?
En réalité, dans la plupart des cas, la décision est prise par les agents des services sociaux.
Et c’est ainsi que fonctionne le mille-feuilles judiciaire suédois ?
Absolument. Seule la cour administrative suprême est exclusivement composée de juges professionnels. Les cours inférieures, c’est-à-dire la cour administrative du comté et la cour administrative régionale sont composées de juges amateurs, pas de professionnels, sauf lorsque doit intervenir le placement d’un enfant.
Excusez-moi, mais je ne suis qu’un modeste petit Français qui aime comprendre comment fonctionnent les choses, et j’avais de la Suède et du système de l’État providence une image très positive. D’autre part, je voulais bien croire les commentaires des représentants officiels suédois qui annonçaient qu’on ne comprenait pas ce système de protection de l’enfance. Mais là, vous venez nous dire qu’à tous les niveaux du mille-feuille des cours administratives, seule la cour suprême est composée exclusivement de juges professionnels ?
En effet. Le système suédois est unique au monde.
Ne peut-on pas dire que lorsque les décisions aussi graves sont prises par des citoyens qui représentent le « bon peuple » et qui n’ont aucune qualification particulière, les enfants et les familles sont livrés à l’amateurisme et à l’ignorance, et que par conséquent, la sécurité juridique n’est pas garantie ?
Nous faisons état de nos recherches, nous ne les commentons pas.
Bien. Revenons à nos agents des services sociaux. Vous avez dit plus haut qu’en réalité, la décision du sort des familles et des enfants était entre leurs mains.
En effet. En général, ce sont les agents des services sociaux qui décident. Le SWC suit en général leurs recommandations.
Et ces agents des services sociaux, qui disposent d’un si grand pouvoir, ce sont des professionnels ?
En réalité, la pratique du travail social n’est pas réglementée en Suède. Les travailleurs sociaux ne sont pas certifiés, ils n’ont pas besoin de diplôme spécifique, à l’inverse de ce qui se passe dans le secteur de la santé.
Excusez-moi chers collègues, mais vous venez me dire à moi, petit Français ignorant, qu’en Suède, le pays que tous les médias et tous les hommes politiques montrent en exemple en matière sociétale, le pays qui a le 1er rendu illégale l’administration de la fessée, est aussi le pays dont le système repose sur une administration qui laisse l’immense pouvoir de décider de la vie des gens à des citoyens choisis par des hommes politiques parmi le « bon peuple », en fait les «élites », des gens qui vivent dans des conditions favorisées, qui n’ont sans doute plus d’enfants à élever et ne connaissent rien de la vie de ceux dont ils ont la charge ? Et vous venez me dire que ces « bons citoyens » qui ne sont ni des juges professionnels, ni des professionnels du secteur médico-social, se reposent eux-mêmes sur de simples agents des services sociaux dont la profession n’est pas réglementée ?
Hors vos interventions entre guillemets, ou votre appréciation sur l’absence de connaissance de la vie du commun des Suédois par ceux que vous qualifiez d’élite, c’est ce que nos recherches ont montré.
Et la décision extrême de placer l’enfant dans une famille d’accueil ou une institution, qui la prend ?
S’il n’y a pas d’appel de la décision, c’est le SWB. En cas d’appel, c’est-à-dire si les parents ne sont pas d’accord avec la décision prise par le SWB, le cas est présenté à la cour administrative du comté. Celle-ci est composée d’un juge professionnel et de 3 juges amateurs. Ces 3 juges amateurs sont choisis parmi les «citoyens ordinaires» par le conseil municipal après les suggestions des partis politiques.
J’imagine que face aux pressions que les familles subissent, c’est ce que j’ai lu dans de multiples documents, il n’est pas toujours aisé de faire appel. Mais les décisions peuvent-elles être politiques ?
Il est demandé aux citoyens de faire abstraction de leurs opinions politiques lorsqu’ils ont à juger. En réalité, empiriquement, la question politique se pose. Par exemple, il a été débattu de la légitimité de choisir parmi ces citoyens des sympathisants de partis politiques d’extrême droite qui critiquent l’immigration.
Mais oui, maintenant je comprends. Il y a en ce moment beaucoup d’enfants immigrés qui sont arrivés sans parents en Suède, et cela peut poser un problème pour leur avenir. D’autre part, lorsqu’on étudie le Vivant ou les organisations selon l’angle systémique, on sait que les systèmes sont orientés vers un objectif, qu’ils s’appuient sur toutes les ressources de leur écosystème pour y parvenir, et qu’ils ont des relations englobantes. Par conséquent, si un régime moins porté sur l’État providence que le régime actuel lui succède, il disposera de toutes les ressources et conditions nécessaires pour appliquer sa politique, avec l’assentiment objectif des citoyens, y compris des opposants politiques, qui ne pourront remettre en cause une légitimité acquise par les pratiques antérieures.
Notre ouvrage ne traite pas de systémie, juste du Droit et de la Société. Ces réflexions sont vôtres.
Passons. Un juge professionnel est donc bien présent lorsqu’il faut placer un enfant ?
Oui.
Et c’est lui qui prend la décision extrême de placer l’enfant ?
Oui et non. Lors de l’appel à la cour du comté, s’il y a unanimité parmi les 3 juges amateurs pour placer l’enfant, leur décision prime. Le juge professionnel, garant du Droit, n’a pas autorité. Cela pose des problèmes constitutionnels, on s’aperçoit que la Constitution est souvent violée, ainsi que certaines dispositions du Droit international. La décision du juge professionnel prime, si et seulement si celui-ci est rejoint par au moins un juge amateur. En cas d’égalité, on peut dire qu’il bénéficie d’une voix supplémentaire.
Dans des rapports tout à fait sérieux, publiés par la principale association nordique en matière de lutte contre les pratiques étatiques d’enlèvement d’enfants, une association composée de plusieurs dizaines de juges, d’avocats et d’universitaires, le NKMR, j’ai lu que des juges avaient pris la décision de placer des enfants dans des familles d’accueil ou des institutions dirigés par des proches. Confirmez-vous cela ?
Nous n’en parlons pas dans notre article.
En tout cas, manifestement, ils en ont le pouvoir. Mais l’enfant dans tout ça, qui le représente ? Ce sont ses parents ?
Non. En Suède, lorsque la famille est en conflit avec l’État en matière de protection de l’enfance, l’enfant de moins de 15 ans se voit attribuer par les organes administratifs un représentant légal chargé de veiller à ses intérêts. Les parents ne jouissent d’aucune autorité en la matière. Ils sont considérés comme la partie adverse.
Et si l’enfant de moins de 15 ans ne souhaite pas être placé, respecte-t-on sa décision ?
L’enfant de moins de 15 ans n’a aucun pouvoir de décider de son sort, pas plus que ses parents. C’est la cour administrative qui décide. Le consentement de l’enfant de moins de 15 ans n’est pas un prérequis pour le retirer à ses parents.
Et s’il a 14 ans ?
Dans ce cas, il a moins de 15 ans !
Non mais, excusez-moi, j’ai étudié les stades du développement piagétien en sciences cognitives, la maturation du cortex frontal et préfrontal en neurosciences, le développement affectif chez l’enfant et bien d’autres choses encore, et vous venez nous annoncer, comme ça, que l’enfant n’a juridiquement pas de voix, que l’enfant est invisible ? Mais vous imaginez la souffrance qu’il doit endurer ? Vous imaginez le poids de la culpabilité de cet enfant qui se demandera toujours ce qu’il a fait de mal pour qu’on lui retire ses parents ? D’autant plus que vos recherches ont montré que majoritairement, les enfants ne sont pas enlevés à leurs parents pour des motifs de maltraitance, mais pour d’autres motifs. Bon, si les parents ne peuvent pas représenter l’enfant, si l’enfant de moins de 15 ans n’a pas voix au chapitre, qui représente ses intérêts ?
Dans le cadre du placement forcé, l’enfant de moins de 15 ans est représenté par un conseiller public. Ce conseiller est rémunéré par le SWB.
Donc, le SWB est juge et partie. Mais cette situation est assez inédite dans un pays démocratique, non ? Seuls les pays totalitaires ont une telle procédure. J’ai lu les articles du NKMR et leur rapport envoyé au Conseil de l’Europe, qui s’appuie sur une centaine de sources sérieuses émises notamment par des chercheurs universitaires. J’ai également visionné des témoignages, et il apparaît clairement que dans les cas les plus graves, ceux où on doit faire appel à des experts (psychologues et autres), que ceux-ci sont aussi rémunérés par le SWB, et que pour ne pas perdre leur « marché » de l’expertise, beaucoup vont dans le sens des agents des services sociaux. Comment un tel système peut exister dans un pays comme la Suède qui est considéré par les Nations-Unies comme le plus avancé au monde ?
Tout ce que nous pouvons ajouter sur le sujet, c’est qu’en cas de placement forcé, le SWB dispose des pouvoirs les plus absolus pour contacter n’importe quelle personne, y compris si la famille s’y oppose, y compris si l’enfant s’y oppose.
Je croyais qu’on avait touché le fond, mais on creuse encore. Combien d’enfants sont placés de force, et combien sont placés volontairement ?
Notre article a d’abord été publié en 2016 avant d’être repris dans la synthèse des éditions d’Oxford. Nous avons travaillé avec les derniers chiffres officiels, qui datent de 2013. Très exactement, cette année, il y a eu 22668 individus placés, dont 16600 de moins de 18 ans. Parmi ces individus placés, 5400 relevaient du placement involontaire, et 17000 du placement volontaire.
Et ces placements volontaires résultent bien d’une décision volontaire des parents ou de l’enfant, c’est-à-dire non forcée, n’est-ce pas ?
En fait, c’est plus compliqué que cela. Déjà, l’enfant de moins de 15 ans n’a aucun pouvoir sur son sort. Il existe d’autre part une distinction dans la définition du mot « volontaire », qui dans notre Droit n’a pas le sens courant. Par exemple, si l’un des deux parents souhaite placer son enfant, il n’a pas besoin de l’avis de l’autre. Le second parent est obligé d’accepter ce choix. Dans notre article, nous donnons d’autres cas qui permettent de distinguer les définitions juridiques et courantes de ce mot.
Décidément, ce système m’apparaît pour le moins singulier. Pouvez-vous nous dire comment le SWC a connaissance des cas qu’ils ont à traiter ?
C’est simple. En Suède, une loi oblige tous les professionnels de l’enfance à faire part du moindre soupçon concernant un enfant à risque. Cette obligation légale ne concerne pas les citoyens, mais dans la pratique, les citoyens, très sensibilisés, participent au signalement.
Vous confirmez donc que les signalements sont systématiquement pris en compte par les services sociaux, qui doivent enquêter et faire un rapport n’est-ce pas ? Vous confirmez aussi que s’il existe un différend entre des parents d’élève et des enseignants, l’enseignant peut se venger en signalant leur enfant aux services sociaux, comme j’ai pu le lire dans les témoignages. De la même manière, j’ai lu dans des rapports officiels et des témoignages que des enfants sont signalés s’ils ne se comportent pas selon les normes sociales, y compris s’ils ont des habitudes alimentaires différentes des normes, et pour bien d’autres raisons qui dans des pays que je juge plus ouverts, passeraient inaperçues. Bref, comme je l’ai écrit dans mon article, à partir du moment où on ne vit pas selon les standards suédois, on peut être signalé aux autorités par n’importe qui, n’est-ce pas ?
Tous les signalements sont traités et donnent lieu à une enquête.
Je comprends parfaitement que les enfants doivent être protégés de mauvais parents, et il existe très certainement un laxisme en la matière en France, mais les statistiques montrent que le nombre d’enfants maltraités a toujours été faible en Suède par rapport à la plupart des pays, et ce, bien avant la loi LVU. Les Suédois sont plutôt des gens bien éduqués.
En Suède, la protection de l’enfant est absolue, et l’État dispose de droits très étendus ; il peut s’appuyer sur un relais de professionnels de l’enfance et de citoyens sensibilisés. Il y a bien quelques cas de maltraitance, mais les statistiques montrent que les causes de placement d’enfants sont en rapport avec leur âge. Les enfants les plus jeunes sont essentiellement placés pour cause de négligence des parents, et les plus âgés en raison de leur comportement.
La loi est-elle précise sur les causes de négligence ou de comportement ?
Pas du tout. Un enfant de moins de 18 ans peut-être retiré pour des causes environnementales : maltraitance physique ou mentale, exploitation, négligence, ou toute autre circonstance où il existe un risque palpable au détriment de la santé ou du développement de la jeune personne. Un enfant de moins de 20 ans peut être aussi retiré pour des causes comportementales, si elle expose sa santé ou son développement à un risque palpable de dommages à travers l’abus de substances addictives, d’activités criminelles ou d’autres comportements socialement dégradants. Rien d’autre n’est précisé. Le risque palpable n’est pas défini, et cela engendre bien des problèmes d’interprétation.
Oui, enfin, bon, tout le monde est potentiellement concerné alors, parce que cette appréciation est à la discrétion des services sociaux. N’observons-nous pas les prémisses d’une Nation hyper hygiéniste ? Quand j’ai repris mon enquête sur ce sujet, et que j’ai lu tous ces témoignages de parents, je n’y ai d’abord pas cru. Je n’ai pas cru qu’il était possible de retirer un enfant à ses parents parce que celui-ci ne porte pas de vêtements décents selon les normes, parce qu’on a retrouvé un joint de cannabis dans sa chambre, parce qu’il ne regarde pas dans les yeux, parce qu’il suit un enseignement chrétien ou musulman, ou encore parce qu’on considère qu’à 18 mois il n’est pas organisé, comme l’a précisé le Français Jérémy Warin dans son témoignage. Vous en connaissez-vous, des enfants de 18 mois qui sont organisés ? Je n’ai plus qu’à vous remercier pour votre formidable travail. J’espère que les Suédois, qui ne connaissent pas plus le fonctionnement de leur administration que les Français le leur, vont s’intéresser à vos travaux. Je suis certain que s’ils connaissaient la réalité de la situation, ils ne l’accepteraient pas, parce que ce sont en général de bonnes personnes, j’en suis convaincu.
Fin du dialogue fictif. Encore une fois, le contenu qui apparaît en italique est un résumé fidèle des recherches de nos deux éminents universitaires.
Le formidable travail réalisé par Svensson et Höjer est assez édifiant, mais je vous propose de plonger davantage dans la consternation à travers d’autres recherches universitaires.
Diva portal (3) est un site web académique qui recense les recherches universitaires réalisées par les chercheurs suédois et norvégiens.
(3) http://www.diva-portal.org/smash/search.jsf?dswid=1996
On y trouvera notamment deux articles rédigés par Monsieur Bo Edvardsson, professeur à l’UFR Droit, psychologie et sciences sociales de l’Université d’örebro.
Le professeur Bo Edvardsson a formé les travailleurs sociaux suédois depuis 1976 et a conduit des études universitaires sur les services sociaux depuis 1981. Il est également intervenu comme expert auprès de la justice. Il avoue enfin avoir été abasourdi – ce sont ses mots – par ce qu’il a découvert.
Dans le premier article académique que je vous présente, (4) “Persecutory Strategies in Child Protection Investigations (2009)”, à travers 14 investigations qui regroupent plusieurs centaines de cas, le professeur Bo Edvardsson nous livre quelques faits surprenants. Ce qui suit est un extrait parfaitement fidèle à ses travaux.
- Les enquêtes menées par les services de la protection de l’enfance ne sont en général pas conformes à la constitution suédoise.
- Les stratégies employées par les services de la protection de l’enfance ne sont pas défendables du point de vue de l’objectivité, de l’intégrité juridique, de la démocratie, de l’humanité.
- Environ, pour chaque cas d’enfant, de 10 à 100 stratégies, réparties en 4 groupes, ont été employées.
– Le premier groupe comprend l’exagération et la falsification de preuves.
– Le second groupe comprend l’exagération et l’invention de pathologies.
– Le troisième groupe comprend le fait de ne pas chercher les informations à la source et d’écarter les informations pertinentes.
– Le quatrième groupe comprend le fait d’influencer les personnes (parents, enfants, témoins, etc.) - Il existe de nombreux exemples de comportement très cruels des services sociaux envers les parents et les enfants. Les enfants semblent d’ailleurs les plus affectés. Les autorités utilisent des techniques de manipulation pour avoir l’emprise sur les personnes. Elles font aussi preuve de biais cognitif (raisonnement biaisé sur la base d’informations vraies ou fausses), de biais de confirmation (écarter tous les éléments qui ne vont pas dans son sens), d’une confiance exagérée en leur bon droit.
Dans un autre document, (5) “Child protection investigations in the Swedish social services – are they really children´s best interests? Is a ”hunting the monster theory” influencing social work and decisions? (1996, révisé en 2010)“, le professeur Bo Edvardsson nous apprend des faits intéressants dont voici un extrait:
Les enquêtes menées par les services suédois sur la protection de l’enfance sont construites comme des dossiers à charge, et se conforment aux propagandes idéologiques. La procédure est inquisitrice (on accuse), elle n’est pas contradictoire. De nombreux enquêteurs lui ont affirmé que l’intention était de persuader les personnes qui ont l’autorité d’enlever un enfant à sa famille d’agir en ce sens. Les décideurs se trouvent ainsi manipulés.
Il semble que dans certains cas, la décision de retirer un enfant à sa famille peut être sérieusement invalidée en raison de l’absence de faits objectifs.
Le professeur Bo Edvarsson a recensé 33 éléments nous informant sur les pratiques des services sociaux suédois, toutes plus révoltantes les unes que les autres. Je vous invite à les lire (en anglais).
Le professeur Hjördis Flodström Enquist a quant à elle étudié la place de l’enfant dans le parcours judiciaire suédois dans (6) “Coercive Legislation – Children’s invisibility in the Legal Process”. On peut en retirer des éléments inédits par rapport à ce qui a été exposé plus haut :
Les représentants des enfants ne sont pas assez tournés sur les besoins de l’enfant. Rappelons-nous que ce ne sont pas les avocats des parents qui représentent l’enfant, mais un représentant désigné par l’administration.
Quand l’enfant a moins de 3 ans, le représentant de l’enfant n’a pas besoin de le rencontrer, ni de rencontrer les parents.
Sur les 22 cours administratives qui ont répondu à son questionnaire, 10 juges ont déclaré que les représentants des enfants ne les avaient rarement ou jamais rencontrés lorsqu’ils avaient moins de 2 ans, et 8 juges ont déclaré que les représentants des enfants n’avaient jamais rencontré ces derniers pour les enfants entre 3 et 5 ans.
Bref, l’enfant est quasiment invisible dans le processus décisionnel, d’où le titre de l’article.
Pour terminer
Je ne doute aucunement que ces lois ont été adoptées dans l’optique de protéger les enfants, ni que certains parents soient maltraitants. La maltraitance est un phénomène horrible, inadmissible. Mais les bonnes intentions ne donnent pas toujours naissance à de bonnes décisions. L’imprécision des lois, le manque de formation des agents des services sociaux qui font ce qu’ils peuvent, les pratiques parfois inquisitrices de ces mêmes agents, le processus décisionnel dans son ensemble, livré à des juges amateurs qui ignorent tout des cas qu’ils ont à traiter, le régime de suspicion généralisé qui s’est progressivement installé, et j’en passe, bref, tout porte à croire que la législation et les pratiques ont rendu favorables les dysfonctionnements que l’on connaît. Avec le processus d’habituation qui nous touche tous, c’est-à-dire qu’en présence d’un stimulus répété, on y réagit de moins en moins, l’être humain peut s’habituer à tout, sans s’en rendre compte.
Il m’apparaît également important de signaler que les pays qui n’ont pas embrassé le régime de l’État providence, comme les États-Unis et le Royaume-Uni, connaissent aussi des dysfonctionnements graves en matière d’enlèvement d’enfants par l’administration. Il doit aussi y en avoir en France, mais la France est un pays bien moins transparent que les pays du Nord ou les pays anglo-saxons. Néanmoins, les dysfonctionnements sont encore moins excusables de la part des pays à régime socialiste-démocrate qui prétendent objectivement et ostensiblement au bien-être de tous.
Dans le prochain volet de cette enquête, nous verrons que le placement d’enfants est devenu une industrie très lucrative, mais aussi que non seulement des enfants vendent des services sexuels dans les établissements où ils sont placés, mais encore qu’ils y subissent toutes sortes de sévices innommables. Si jusqu’en 1991 de très nombreux enfants avaient été maltraités dans ces établissements, des enquêtes récentes ont de quoi sonner l’alarme. Parce que les horreurs continuent.
Note
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