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L’approche narrative dans l’apprentissage

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L’approche narrative dans l’apprentissage

Certains éléments d’une formation ne passionnent pas. Il existe pourtant une méthode  connue depuis un certain temps, utilisée en psychothérapie, management des organisations et marketing (à travers le story-telling par exemple) ; une méthode popularisée par Jostein Gaarder pour la philosophie et Denis Guedj pour les mathématiques, qui permet d’initier ou d’entretenir cette motivation: l’approche narrative.

Nous verrons en quoi l’approche narrative, largement sous-exploitée, constitue une alternative crédible à la ludification (gamification) chez les apprenants de tout âge, en formation initiale comme en formation continue, pour initier et entretenir la motivation. Pas seulement.

 

Toutes les découvertes – ou presque – sont le résultat d’une histoire complexe, d’une relation entre les hommes et leur environnement. Qu’existait-il avant que je ne n’invente cette machine ? Quelles questions m’étais-je posées avant de découvrir ce théorème ? Quels secrets mon environnement me cachait-il qui attendaient d’être révélés ? Quelles règles générales pouvais-je extraire de l’observation répétée de phénomènes apparemment plus ou moins isolés ? Quels problèmes insolubles mes ancêtres connaissaient-ils ? De quelle manière ai-je pu les résoudre ?

On le voit, les questions précédentes – non exhaustives – sont nombreuses et susceptibles de rendre passionnant l’apprentissage de n’importe quelle discipline tout en étant génératrices de sens, ce qui manque aujourd’hui cruellement. Combien d’apprenants se plaignent notamment de l’enseignement des mathématiques où on leur impose en début de cours des exercices dont on espère qu’ils vont produire les inférences idoines ? Sait-on seulement où se porte leur attention ?

L’approche narrative, loin de résoudre tous les problèmes, répond pourtant à de nombreux critères pédagogiques. Surtout, elle a l’avantage de pouvoir être facilement appréhendée par tous les enseignants, formateurs, coachs, tuteurs et autres parents d’élèves.

 

1.    Quelques avantages de l’approche narrative

Vous trouverez ci-dessous quelques avantages de cette approche.

•    Amorcer l’intérêt de l’apprenant

Tout le monde aime les histoires, que l’on retrouve dans le livre, le jeu vidéo ou encore le cinéma.

 

•    Dynamiser le cours et maintenir l’attention à un niveau élevé

Grâce aux dialogues et rebondissements, l’approche narrative est en mesure de créer des climax, du suspense et de la surprise, autant de techniques pour retenir l’attention.

 

•    S’inscrire dans la recherche du sens

Toutes les disciplines scolaires (et universitaires) répondent à quelques questions primitives : qui sommes-nous ? Que faisons-nous ? Comment est notre environnement ?

L’élève, quant à lui, se pose avant tout la question suivante : à quoi va me servir ce que j’apprends ?

En cela, il n’est guère différent de l’adulte qui a besoin qu’on lui explique pourquoi il doit investir son énergie. Il est alors difficile d’attendre de l’élève qu’il demeure sagement assis sur une chaise peu ergonomique pendant 6 à 8 heures par jour, alors que la société le conditionne à rationaliser son énergie pour un résultat immédiat. Le monde au bout d’un simple clic.

Le temps de l’École (primaire, secondaire) est le temps de la lenteur et du passé. C’est le temps de l’énergie qui, une fois investie, ne produira pas un résultat immédiat, peut-être pas de résultat du tout. Cela semble aujourd’hui intolérable à la société que le déficit effraie.

L’approche narrative est de nature à donner du sens à l’apprentissage, à entraîner l’élève dans une histoire formidable. Ainsi peut-elle se décliner en histoires (histoire des mathématiques, histoire des sciences…) mais aussi en fictions.

 

•    Développer la créativité

En donnant du sens aux apprentissages, l’approche narrative s’inscrit également dans l’enseignement de la créativité et dans la stimulation du processus créatif. Je ne parle pas de la créativité telle qu’elle est abordée dans les ouvrages grand public et que l’expérimentation peut questionner, mais de la véritable créativité telle qu’elle est étudiée par les scientifiques et dont le grand public n’a pas connaissance. J’aborderai spécifiquement le processus créatif dans une autre section.

En effet, la créativité n’est pas un processus « magique » qui naîtrait d’une intuition divine, mais le résultat d’un processus largement cognitif où l’intuition serait davantage une préscience, soit une connaissance non encore formalisée. Aussi des méthodes d’étude de la créativité ont-elles été expérimentées, les voici (seule la 1ère méthode est clairement narrative):
–    La lecture de biographies et autobiographies des « créatifs » (artistes, scientifiques, techniciens) pour y déceler la méthode de création, la personnalité, la psychopathologie, l’environnement
–     L’étude de cas des innovations (études qualitatives et quantitatives)
–    Les analyses historiométriques (méthodes quantitatives appliquées aux données historiques pour formuler et tester des hypothèses causales sur la créativité)
–    L’étude in vivo (étudier directement un créatif en train de créer)
–    L’étude in vitro (décontextualiser la créativité afin d’en contrôler et modéliser le processus)
–    L’expérimentation en laboratoire, la résolution de problèmes et l’emploi des critical thinking skills

 

•    La scénarisation de l’apprentissage

L’approche narrative se prête bien à une scénarisation de l’apprentissage afin non seulement de lier les séquences entre elles, mais aussi de varier les pédagogies.

 

•    Le processus d’identification

En s’identifiant à un personnage (pour rappel, une personne devient un personnage dans une œuvre livresque ou cinématographique), l’apprenant pourrait s’impliquer davantage.

 

•    La sollicitation de la mémoire à long terme épisodique

En classe, les enseignants sollicitent essentiellement la mémoire sémantique ou procédurale. La mémoire épisodique est comparativement assez peu impliquée. Or, un élève se souviendra plutôt bien de ce qu’il a fait pendant ses vacances (mémoire épisodique) l’été dernier.

 

•    La charge émotive

Les émotions sont essentielles à la mémorisation. Par l’entremise de l’identification et des rebondissements dans le scénario, il est possible d’activer le processus émotif.

 

 

2.    Exemple d’approche narrative : la fiction

Il existe aujourd’hui des ressources pédagogiques sur l’histoire des mathématiques (des sciences, de la langue, etc.), n’hésitez pas à en faire profiter tous les lecteurs en intervenant en commentaire.

En 2006, j’avais écrit quelques chapitres d’un manuel de grammaire pour expérimenter cette approche, vous en trouverez un extrait ci-dessous. En effet, qu’y-a-t-il de plus rébarbatif que la grammaire ?

Ces chapitres étaient suivis d’un résumé de cours sous forme de mind map, saisis avec un logiciel de traitement de texte et retravaillés aujourd’hui avec un logiciel de mindmapping pour le besoin du site. Les exercices étaient basiques, mais avaient pour originalité qu’une fois la solution trouvée, ils offraient un code afin de découvrir des spin-offs. Cette modeste récompense extrinsèque rentrait ainsi dans le cadre de ce que les théories sur la motivation nous enseignent. Et cela fonctionne.

Même si je n’ai testé cette approche que sur l’enseignement de quelques éléments de grammaire, en situation de classe comme en cours individuels, il me paraît évident qu’elle peut s’appliquer à l’enseignement de n’importe quelle discipline, en formation initiale comme en formation continue.

 

Chapitre I : Le mot et ses constituants

Le livre se présentait sous une reliure dorée, à l’abri des tentations, derrière une vitre blindée qu’un savant système protégeait. Il s’en dégageait un certain mystère, une attraction naturelle, inévitable, irrépressible. La valeur de cet ouvrage le disputait à son ancienneté. Le grand-père de Mathis avait formellement défendu qu’on y touchât, et l’intérêt du jeune garçon ne s’en trouvait que renforcé. Quatre ans que Mathis voulait parcourir les pages de cette œuvre unique afin de s’en approprier les secrets. Quatre longues années où il avait tout tenté pour parvenir à ses fins. « Le mot est à l’origine du plus grand des pouvoirs, mais tu es encore trop jeune pour le comprendre », avait expliqué son grand-père.

Aujourd’hui Mathis était pourtant seul. Mieux encore : son grand-père avait laissé le précieux sésame dans un coffre dont le jeune garçon avait appris la combinaison grâce à un tour de passe-passe. Enfin, le grand jour était arrivé qui allait mettre un terme au supplice de Tantale.

 

***

Les doigts fébriles pianotaient la combinaison sur le clavier fluorescent, une suite de douze chiffres. On entendit un bref clic, et la porte s’ouvrit. Mathis s’empara prestement de la clef, une carte à puce. Il se précipita au sous-sol et l’introduisit dans le dispositif d’ouverture de la vitre blindée. Mathis pensait l’affaire gagnée, mais une voix électronique annonça :
–    Veuillez citer le dernier mot du livre, s’il vous plait.

Non, c’est impossible, on ne pouvait pas lui faire ça ! Le dernier mot du livre ? Mais il ne l’avait jamais lu ! Un mot au hasard ? Non, ça ne fonctionnerait pas. Renoncer ? Pas sans avoir tenté quelque chose. Garder son calme et réfléchir. Quelle est la profession de son grand-père ? Linguiste et historien, expert en mythologies. La moitié de ses livres étaient écrits en grec ancien, des livres uniques qu’il avait tus au monde entier, des livres rescapés de la célèbre bibliothèque d’Alexandrie ! Mathis qui maîtrisait les langues anciennes n’avait aucun mal à déchiffrer la couverture. Par quel mot un livre se termine-t-il ? Par le mot fin, bien sûr. Et « fin » se dit en grec…

A peine Mathis eut-il achevé de prononcer la formule qu’il fut frappé par un éclair et aspiré à travers la vitre blindée.

 

***

–    Je t’avais dit de ne pas t’approcher du livre, mon garçon.
Mathis se releva en frottant énergiquement la tête, comme pour évacuer une profonde douleur. Il parvint d’abord difficilement à identifier son interlocuteur, puis lâcha :
–    Grand-père !
–    Tu t’attendais à voir le Père Noël ?
–    Que s’est-il passé grand-père ?
–    Il s’est passé que par ta faute, nous sommes tous deux prisonniers du livre et de son univers.
–    Mais j’ai prononcé le bon mot, n’est-ce pas ?
–    Du tout. Au contraire, tu as scellé la porte qui permettait de rejoindre notre monde. Il faut maintenant trouver un moyen de s’échapper avant que la colère d’Apollon ne nous rattrape.
–    Comment ? questionna Mathis, interloqué.
–    Cours et ne te retourne pas ! s’exclama le grand-père en entraînant vivement son petit-fils. N’oublie pas ce que je t’ai dit : « le mot est à l’origine du plus grand des pouvoirs ».  Tu t’en rendras bientôt compte, continua-t-il en prononçant une formule ésotérique qui matérialisa une porte. Là, nous sommes à l’abri, fit le vieil homme en reprenant son souffle.
–    Que se passe-t-il papy ?
–    Ecoute le pouvoir du mot. Qu’est-ce qui te permet d’accéder à la connaissance ?
–    Le mot.
–    Qu’est-ce qui te permet de communiquer avec tes semblables ?
–    Le mot. Mais pourquoi me demandes-tu ça ?
–    Parce que pour sortir d’ici, il va falloir que tu apprennes le secret des mots. Le livre que tu convoitais est le « Livre des prières d’Apollon », or Apollon est un Dieu particulièrement subtil et malicieux. Considère que nous sommes désormais ses prisonniers et qu’il va falloir que tu résolves des énigmes pour retrouver notre monde.
–    Pourquoi moi ?
–    C’est toi qui as prononcé la mauvaise formule.
–    Je ne comprends rien, papy, mais je veux bien te croire.
–    Bien, tu es prêt ?
–    Allons-y !

 

***

La porte venait de se dématérialiser, scellant la fin du sortilège. Mathis et son grand-père se retrouvèrent dans une prairie où s’ébattait une colonie de daims. Une pierre rectangulaire trônait fièrement, qui luisait d’un bleu vif.

–    Tu vois cette pierre, Mathis ?
–    Bien sûr, grand-père. Comment ne pas la voir ?
–    En touchant cette pierre, tu sauras tout du mot et de ses constituants. Avec ces connaissances nouvellement acquises, tu pourras résoudre la série d’énigmes qui te sera proposée, et ainsi pourrons-nous continuer notre chemin.
–    Le mot et ses constituants, c’est de la grammaire n’est-ce pas ?
–    Effectivement, Mathis.
–    Beurrrk ! ça sert à rien la grammaire. C’est comme l’orthographe.
–    Que tu crois. Le langage est bien ce qui permet de communiquer, d’apprendre les autres disciplines et de penser, n’est-ce pas ?
Mathis acquiesça.
–    Le langage qui met en contact un émetteur – celui qui émet le message – et un destinataire – celui qui reçoit le message – au moyen de mots est appelé langage verbal. Le langage verbal est codé, c’est-à-dire qu’il regroupe un ensemble de règles communes à l’émetteur comme au destinataire. Sans ce code commun, il ne peut y avoir communication. Si chacun avait son code personnel, on ne se comprendrait pas.
–    Ça me paraît logique, grand-père.
–    Bien. L’orthographe comme la grammaire participent donc à édifier ces règles. Meilleures seront ton orthographe et ta grammaire, mieux tu t’exprimeras, mieux tu comprendras l’univers. Ta pensée sera ainsi plus précise, plus fine.
–    C’est clair maintenant, termina Mathis en posant sa main sur la pierre. Ouahhh, c’est incroyable ! s’exclama-t-il en la retirant presque aussitôt. Je sais tout maintenant. C’est super facile.
–    Bien sûr que c’est facile. Cependant, je veux être sûr que tu as bien compris. Est-ce que Brrsteerz est un mot ?
–    Non, grand-père. Un mot a un sens, or Brrsteerz ne signifie rien. Deux mots sont séparés par un blanc, un signe de ponctuation ou une apostrophe. Par exemple, J’ dans J’adore est un mot parce qu’il signifie Je.
–    Très bien. Qu’appelle-t-on mot simple ?
–    Un mot simple ne peut pas être découpé en unités de sens plus courts. Voici des exemples de mots simples : noir, joue, gare, trésor. Et s’il y a des mots simples, c’est qu’il y a aussi des mots construits.
–    Et ?
–    Et j’aimerai me construire un palais rempli de jeux vidéo. Non, je plaisante. Contrairement aux mots simples, les mots construits peuvent être divisés en plusieurs éléments plus petits. Les mots construits se bâtissent sur le radical, auquel on ajoute un ou plusieurs préfixes, un ou plusieurs suffixes. Le sens principal du mot est donné par le radical, et les préfixes et suffixes modifient son sens. Découragement est un mot construit. Le radical est courage, le préfixe qui se place toujours avant le radical est dé_, et le suffixe qui se place toujours après le radical est _ment.
–    Que sais-tu d’autres ?
–    Que un plus un, ça fait deux !
–    Plus sérieusement, s’amusa le grand-père.
–    Que les mots construits peuvent se former par composition. Par exemple, portemanteau est composé de porte et de manteau.
–    Bravo. Une dernière chose ?
–    Oui, grand-père. Si le préfixe et le suffixe permettent de créer des mots, ceux-ci trouvent également leur origine dans d’autres langues. Surtout dans le grec et le latin. On appelle étymologie la discipline dont l’objet est d’étudier l’origine d’un mot.
–    Tu n’as rien oublié ?
–    Non. On classe les mots dans différentes catégories grammaticales. Il y a des classes variables : le nom, le déterminant, l’adjectif qualificatif, le pronom et le verbe. Il y a des classes invariables : l’adverbe, la conjonction, la préposition et l’interjection. Quand on parle de classe grammaticale d’un mot, on parle également de nature d’un mot.
–    C’est parfait. As-tu des questions ?
–    Oui. Pourquoi doit-on ranger les mots dans différentes catégories grammaticales ? A quoi ça sert ?
–    Ca sert à les identifier et mieux comprendre leur fonctionnement. Prenons le mot manteau. Manteau est un nom. On sait que le nom sert à désigner. Mais manteau est vague. Imaginons que nous sommes au milieu d’un magasin de vêtements et que je te dise : « regarde le manteau blanc ». Tu comprendras de quel manteau je parle sans avoir besoin de le montrer du doigt. Parce que je l’ai précisé au moyen de deux mots : le qui est un déterminant, et blanc qui est un adjectif qualificatif. A partir de là, tu sais que les déterminants précisent un nom, comme les adjectifs qualificatifs. Tu peux donc appliquer un ensemble de règles à chaque catégorie de mots, puisque chacune fonctionnera de la même manière.
–    En fait, il y a une explication à tout.
–    Mais oui, Mathis. Je pense que tu es prêt à résoudre la première série d’énigmes, après avoir de nouveau posé ta main sur la pierre de connaissance. Elle imprimera dans ton esprit des schémas qui te permettront de mieux retenir ce que tu as appris.

 

Chapitre II : Le nom

Une petite brise s’engouffrait dans les cheveux de Mathis et achevait de le réveiller. Son grand-père dormait encore, comme en attestait le souffle régulier dans sa poitrine. On entendait le chant des oiseaux bercer la prairie, les rameaux d’olivier deviser sous le vent, les jeunes biches lécher l’herbe grasse. Une belle journée s’annonçait.

Mathis scrutait le ciel vierge à la recherche d’un signe qui le ramènerait chez lui. Il n’eut pour toute réponse que le vol d’un passereau qui se confondait en d’improbables figures. A la vue du jeune garçon, l’oiseau interrompit son évolution pour venir se poser près de lui. Il tourna légèrement la tête, émit un sifflement harmonieux puis reprit son envol.

[…]

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