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Introduction au storytelling

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Introduction au storytelling

“L’Amérique ne dirige pas le monde grâce à sa puissance technologique ou militaire mais à Hollywood” (Benezet & Courmont, 2008).

 

En assurant la promotion des valeurs et de la civilisation américaines, l’industrie du cinéma US a effectivement défini les contours de la réalité dans laquelle les autres Etats devaient s’enfermer pour exister. Le secteur de l’automobile japonais a lui-même connu son essor en Europe en s’appuyant sur l’image « cool » véhiculée par les animes dans les années 80. Affirmer qu’Albator et Goldorak ont été les meilleurs VRP du Japon auprès des consommateurs anciens afficionados du Club Dorothée n’est en rien une hypothèse. Que dire de la marque à la pomme qui s’affiche fièrement sur les mobiles et ordinateurs et pour laquelle on est prêt à jouer des coudes dans une file d’attente que les propagandistes de l’ancien régime soviétique auraient fait passer pour une marque de pénurie alimentaire ? Des clubs de football de milieu de tableau jouissent encore d’une ferveur populaire qui prend ses origines dans l’édification d’un mythe, comme la Rome nourrie aux seins de la louve. De Marilyne Monroe à Gandhi, les légendes ne meurent jamais. Un peu comme la Harley.

 

Je n’ai pas rédigé d’introduction, vous êtes immédiatement dans le feu de l’action, à la manière des séries américaines. Pourquoi ne pas casser les codes ? L’intérêt du texte se dégage des références nombreuses et variées enracinées dans votre mémoire à long terme (Britton et al., 1983). Je les fais ressurgir dans votre mémoire de travail (une mémoire temporaire), vous invite à réfléchir (où l’auteur veut-il en venir, les références sont nombreuses), et vous propose un défi réalisable (faire un effort pour comprendre le texte) qui nourrit votre intellect et fait sens. Les références explicites, mais surtout les inférences implicites qui échappent à la raison pour toucher les émotions achèvent de capter votre intérêt (S.I. Kim, 1999). C’est le chaos, je touche sous la ligne de flottaison, ce qu’il y a de plus efficace, comme le souligne Michel Desmurget. C’est alors que monte progressivement la tension qui nourrit le sens, le suspense qui maintient votre attention, et plutôt que déclarer gratuitement que le storytelling est un formidable outil de promotion, autant vous en faire vivre l’expérience. Je n’ai pas besoin de vous convaincre, vous vous dites que vous le saviez déjà mais que vous n’aviez pas pris la peine de le formuler. En réalité, je n’ai fait que vous aider à assembler des contenus épars dans votre mémoire, je vous ai aidé à faire des liens inédits.

 

Certes, le storytelling est un puissant outil pour assurer la promotion. Des personnes. Des idées. Des organisations. Il transfigure la banalité en la poétisant au sens aristotélicien, et fait entrer le social, le culturel et le commerce dans la sphère du sacré (C. H. Miller). Ne touchez pas à mon Apple Watch je vous dis. Mon téléviseur Samsung n’est pas à vendre, c’est inutile d’insister. Le rationnel sommeille alors que s’éveille l’émotion qui façonne le comportement jusqu’à créer une identité commune avec la marque.

 

Si le storytelling est un puissant outil de promotion des personnes morales et physiques, il convient parfaitement à toutes les situations d’apprentissage. Un atome peut devenir un personnage fabuleux au sens de Propp, et confronté aux opposants qui ne manqueront pas de l’empêcher de réaliser son objectif, il pourra compter sur des adjuvants disposés à s’associer à lui pour modifier les états de la matière. Que la lumière soit à la fois une onde et une particule quantifiable est en soi assez extraordinaire et ne mérite rien d’autre qu’une belle histoire, racontée avec Damour. Interstellar.

 

Nous jouons avec l’esprit et nourrissons alors les flammes ravivées de nos particules élémentaires du CCCP (Союз Советских Социалистических Республик) – l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques en français – j’avais déjà abordé la propagande soviétique de la guerre froide en début de texte. Le secret affiché comme une icône monacale de Bulgarie s’incarne en ces quatre lettres : Conflit, Causalité, Complications, Personnage (Willingham, 2004). Retenez ceci, c’est l’une des clefs essentielles des belles histoires. Sinon, vous avez le plan SPRI (Situation, Problème, Résolution, Information) de Louis-Timbal Duclaux, qui fonctionne pour tous les types de communication. Un livre introuvable à rééditer de toute urgence. Ce plan a fait merveille auprès de J-C Hériche que j’ai eu le plaisir de coacher pendant 4 ans, et qui a sorti un livre remarquable aux éditions Dunod, qui aide vraiment à trouver un emploi: Décrochez votre nouveau job, cessez de demander, proposez vos solutions. Il faut partager les bonnes choses.

 

Il n’est d’intérêt que la question, et celle-ci résolue, le problème disparaît pour s’enregistrer dans la mémoire à long terme et devenir un souvenir qui sera récupéré lorsqu’un problème du même ordre surgira. Du cerveau, la raison est le moteur, la mémoire son réservoir.

 

La question n’a d’intérêt que si elle-même révèle un conflit. On peut appeler cela un problème, une problématique, une intrigue…, peu importe. Et dire que, d’après la légende, le vaisseau transportant les petites pommes électroniques est né dans un garage. Le David de la pomme contre le Goliath aux trois lettres, depuis Hammurabi, on n’a rien fait de mieux en matière de modèles d’histoires. N’oublions pas pour autant mon petit atome confronté à maints conflits qu’il devra résoudre lors de ses péripéties. Pauvre petit atome de Bruxelles.

 

Les péripéties sont à la raison ce que la causalité est au temps, ou peut-être est-ce l’inverse, je me perds dans mes chiasmes. Si le petit pépin est devenu un beau pommier qui fleurit en toute saison, défiant par là même les lois de la nature, c’est parce que son jardinier a su en être l’émanation idéale. Cachez cet atome que je ne saurais voir, et le voilà s’associer à ses pairs (l’allitération était attendue) pour transformer l’Eden. En même temps, une pomme dans un Eden, cela fait sens !

 

Une causalité aussi attendue qu’une allitération en S ou une pomme dans l’Eden s’appelle un lieu commun, et le premier qui compara la femme à une rose était un poète, le second, un imbécile (Gérard de Nerval). Voilà pourquoi, aux causalités anticipées doivent s’ajouter des causalités inédites, comme un missile qui fonce sur une voiture, on anticipe l’impact, et nous voilà surpris à remarquer qu’il se pose sur le toit du véhicule, lui offrant une poussée supplémentaire de nature à lui permettre d’échapper aux poursuivants. Cette causalité inattendue (en apprentissage bayésien, on appellerait cela une irrégularité statistique) va déclencher la surprise qui va nous conduire à apprendre.

 

En écrivant de la sorte, je vous respecte et vous fais réfléchir, je vous invite à participer à un exercice mental que l’on peut ici qualifier de « traitement génératif de l’information », pour reprendre la terminologie de la psychologie cognitive. Déclarer est insuffisant pour que vous enregistriez les informations dans votre mémoire à long terme. Et si c’est le chaos dans votre tête, c’est normal, tout se met en ordre plus tard. Exactement comme dans les séries américaines où la profusion de personnages et d’intrigues vous perd pendant les 4 premiers épisodes, puis vous vous surprenez à tous les connaître.

 

Je reprends. Conflit et causalité, d’accord, mais il nous manque un troisième C, les complications. Selon la loi des emmerdements maximum de Murphy, quand ça va mal, ça ira encore plus mal. Oui mais c’est cela qui maintient l’attention. Et justement, dans les séries américaines, les complications sont nombreuses et s’accompagnent toujours d’un élément de résolution, cela simule la richesse de la vie et c’est ce qui nous rend dépendant.

 

J’en viens maintenant au P du personnage. Le personnage est un être fictif (le Rousseau-personnage des Confessions n’est pas le Rousseau-auteur) qui peut être une personne (morale ou physique), un lieu, un objet, un animal, et même le néant. C’est beau le néant qui, vide de vie, se remplit à mesure qu’on y pense. Les personnages doivent avoir des caractères distinctifs pour qu’on les identifie et donc les mémorise, et l’attachement se produit parce que le personnage repose sur les traits de la personnalité au sens de la psychologie : trait de personnalité cognitive, sociale, motivationnelle-affective, clinique. Plus prosaïquement, on peut commencer à s’appuyer sur le fameux Big Five pour approfondir la psychologie de son personnage et ensuite appliquer cela aux groupes.

 

Le storytelling est un formidable outil de promotion comme je l’avais annoncé en début de texte, et je reprends ici cet aspect, délaissant l’apprentissage. En procédant de la sorte, j’utilise la technique de l’entrelacement, que j’emploie abondamment dans mes formations et productions.

 

Si vous savez raconter une histoire – c’est loin de n’être qu’une affaire de style – vous saurez fédérer autour de votre marque ou de votre personne au-delà de vos attentes. Par le jeu de la transfiguration poétique, le produit ou service que vous vendez aura une valeur inestimable.

 

Une bonne histoire a un impact plus fort que le marketing et la publicité en raison de son pouvoir fédérateur inégalé. Je pense par exemple au community manager de la marque Décathlon sur twitter qui a su répondre de la meilleure des manières possibles aux Social Justice Warriors féministes (et qui ne représentent en rien les vraies féministes) qui accusaient la marque d’être sexiste parce que les couleurs et la forme des sacs à dos pour femmes et hommes n’étaient pas semblables. Et l’homme impavide de déclarer que la marque ne faisait que répondre à une demande des consommatrices en ce qui concerne les couleurs, à la morphologie féminine pour assurer un meilleur confort en ce qui concerne la forme. Cet animateur est devenu l’incarnation du héros.

 

Le storytelling comme instrument fédérateur fait de chaque consommateur un évangéliste qui rejoue inconsciemment l’histoire de la marque. Pensez à la pomme.

 

Selon Joseph Campbell, spécialiste des mythes, les histoires les plus anciennes étaient des mythes interactifs. Les spectateurs ne se contentaient pas d’écouter l’histoire, ils la rejouaient dans une forme de rite religieux. L’expérience était émotionnellement si intense que le public entrait en transe, et le rite du passage à l’âge adulte se transformait même en un véritable calvaire.

 

Toujours selon Joseph Campbell qui a étudié des milliers de mythes et autres fables sur la Terre entière et à toutes les époques, comme Louis Timbal-Duclaux a étudié tous les types de communication, le héros est un personnage qui se découvre et se transcende à travers son périple.
Les bonnes histoires sont des histoires de transformation, et le storytelling est justement un outil adapté à la transformation des organisations.

 

Il était une fois (situation initiale) une organisation qui opérait toujours de la même manière, parce que….eh bien….euh…parce que c’était toujours comme ça. Et pis c’est tout.

 

Mais un jour (élément perturbateur), des forces externes (« je suis ton père, Luc ») ou internes (« je peux vous soumettre une idée ? »), prévisibles ou non, imposent de reconsidérer la situation initiale. Eh patron, on ne peut plus être pépère, la thermodynamique de Lavoisier nous impose de nous transformer sinon on va tous mourir. Aaaargh ! Scramble, scramble, tous aux abris ! Un problème, un conflit, un défi ? Allez me chercher Chewbacca, on a toujours besoin d’une peluche.

 

Sous la pression du besoin de changement, l’organisation met en place (les péripéties) sa réponse. On peut changer les personnes, les produits ou services, le lieu, le process de production, la stratégie (…) Et contrairement à ce qu’à répété Hannibal (pas l’Hannibal d’Hasdrubal, mais celui de l’Agence tous risques), un plan ne se déroule pas toujours sans accrocs. Il y aura donc des opposants et des adjuvants.

 

Puis vient l’élément de résolution. L’organisation a pu répondre (ou pas) au défi.

 

Enfin, la situation finale : l’organisation s’est transformée, certains éléments n’ont pas survécu à cette transformation, d’autres se sont épanouis.

 

Un lieu magique de transformation, promotion de l’entreprise et formation informelles est la machine à café où les collaborateurs se racontent des histoires. On sous-estime le pouvoir de cette petite machine.

– Bonjour tout le monde, comment ça va ce lundi ?
– Bonjour toute seule, tu as passé un bon week-end ?
– Oui, bof, toujours la même chose. Le grand ne veut pas travailler et le petit est collé à son smartphone. C’est très simple, je ne l’appelle plus par son nom mais son numéro. Au fait, vous avez avancé sur le dossier La Pomme ?
– Absolument. On se disait justement qu’avec la vague de conservatisme qui agite l’Europe, les vieux prénoms qui reviennent à la mode, la méfiance grandissante envers les nouvelles technologies, les préoccupations environnementales, les sites de « réinfosphère » qui cartonnent, l’attrait pour la cuisine du terroir, il faudrait transformer l’image de leurs téléphones. Axer sur le bois, la mousse végétale, quelque chose comme ça. Nous miserions sur un oxymore.
– C’est intéressant. Les oxymores, ça marche toujours. Ca invite à réfléchir. Vous avez une idée de nom ?
– Racine ou Roots.
– Pourquoi ?
– Eh bien, Racine est un dramaturge classique, la racine est ce qui permet aux plantes de communiquer entre elles via un réseau, la racine carrée est une notion de mathématiques élémentaires, et…
– Ok, je crois comprendre. Une idée de logo ?
– La racine carrée de X élevée au carré où le X serait remplacé par l’image d’une racine d’un arbre.
– En voilà une drôle d’idée. Pour quelle raison ?
– Parce que tout nombre dont la racine carrée est élevée au carré est égal à lui-même. Ainsi, tout en communiquant avec les autres via un outil de haute technologie, le consommateur sera toujours lui-même ! Et je verrais bien pour slogan, “Je s’appelle Roots”, en hommage aux Gardiens de la Galaxie.
– Je vois que vous avez bien travaillé.

 

« L’information est un article dans un livre ou journal – c’est de la connaissance congelée. La connaissance est ce que connaît une personne, un individu, ou peut être ce que savent des groupes de personnes interconnectées. Cela se rassemble en la capacité, les capacités des organisations. […] A mesure que la connaissance devient plus précieuse, les histoires aussi.» (L. Prusak, 2005)

 

Maintenant, si vous recherchez une alliance de sciences cognitives et de bonnes histoires, vous savez à qui vous adresser !

 

© Pascal Roulois, www.neuropedagogie.com . Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation. Mais un lien vers l’article est le bienvenu.

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