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Les secrets de l’apprentissage et de la mémoire

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Comment deux étudiants à l’intelligence et à la mémoire moyennes ont-ils pu décupler leur capacité à mémoriser ? C’est ce que les chercheurs Chase et Ericsson sont parvenus à déterminer. Voici leur secret, l’une des bases de la mémorisation.

 

S.F. et Dario Donatelli, 2 étudiants à l’intelligence et à la mémoire moyennes

S.F. était un étudiant à l’intelligence moyenne. Sa mémoire à court terme était capable de retenir une suite aléatoire de 8 chiffres, ce qui la situe également dans la moyenne (7 +/- 2).

Après un entraînement de 230 heures réparties sur 20 mois (1h/j, 3 à 5 j/semaine), l’empan de chiffres (le nombre de chiffres que sa mémoire à court terme pouvait retenir) est passé à environ 80. Cela signifie que lorsque les chercheurs lui présentaient une suite aléatoire de chiffres, il était capable d’en restituer environ 80 dans l’ordre !

Le second étudiant, Dario Donatelli, était aussi un étudiant à l’intelligence et à la mémoire à court terme moyennes, capable de retenir une suite de 8 chiffres. Après 800 h d’entraînement, il était capable de mémoriser et restituer dans l’ordre une suite aléatoire de 104 chiffres.

Encore plus fascinant, Yoon et Ericsson rapportent avoir testé Donatelli environ 30 ans après la fin de l’expérimentation. Donatelli ne s’était pas entraîné depuis. L’empan de ce dernier était redescendu à 10 chiffres, pour remonter à 19 au bout de 3 jours d’entraînement.

 

 

Les conditions favorables à l’essor de la mémoire et de l’apprentissage

Il ne faut pas considérer la mémoire comme un artefact qui fonctionnerait isolément, aussi pour améliorer sa capacité, il convient d’abord de réunir les conditions favorables à son essor, avant d’employer de quelconques techniques. Je ne suis naturellement pas exhaustif sur ces conditions.

• Dormir. Le sommeil est essentiel parce qu’il va permettre de consolider ce qui aura été mémorisé.
• Faire régulièrement des efforts physiques modérés pendant 40 minutes environ. On doit pouvoir parler pendant l’effort. Si on apprend juste après l’effort physique, la tâche sera plus agréable et vraisemblablement plus aisée.
• Entretenir des relations sociales. La solitude et l’isolement sont très néfastes pour la mémoire. En effet, le simple fait de parler ou d’écrire est une récupération du souvenir, alors que re-lire ou ré-écouter activent la reconnaissance.
• Éviter la routine, se confronter à la nouveauté, faire des efforts.
• Éviter de trop se reposer sur la technologie. Si on sait qu’une information est disponible via un moteur de recherche, on ne va pas chercher à la mémoriser. On saura où la trouver, et ce lieu deviendra un indice de récupération. Vous utilisez wordreference pour chercher un mot dans une langue étrangère. Vous ne mémoriserez pas ce mot si vous n’en n’avez pas le projet. Le problème peut être similaire avec la suggestion de mots clefs (ce n’est pour le moment qu’une hypothèse).
• La mémoire doit faire un EFFORT de récupération. Or la forme de récupération la plus forte est le RAPPEL LIBRE (se souvenir sans indice, sans aide). Les logiciels qui analysent notre fréquence d’emploi de mots vont nous proposer ensuite ces mots, voire des phrases. Cela va activer la RECONNAISSANCE, et nous conduire à confondre ce qui est familier avec ce qui est connu. Erreur que font tous les apprenants qui relisent plusieurs fois leurs cours, par exemple. En revanche, les mots qu’on utilise moins ne seront pas proposés, or s’ils ne sont pas récupérés régulièrement, ils s’effaceront de la mémoire. La reconnaissance n’est pas le rappel libre !

 

 

Augmenter sa capacité à mémoriser : le secret de S.F. et Dario Donatelli (DD)

S.F. et Dario Donatelli ont tous deux procédé de la même façon, et comme ils ont verbalisé leur manière de mémoriser, les chercheurs qui les encadraient ont pu consigner cela par écrit.

Le plus intéressant : ce secret est à la portée de tous.

Alors, comment décupler (au sens propre) son empan de chiffres ?
• S.F. et Dario Donatelli étaient tous deux passionnés par la course à pied. Par conséquent, leur mémoire à long terme avait déjà mémorisé les temps de plusieurs coureurs. S.F. et DD se sont donc appuyés sur leur expertise pour effectuer une association entre la suite aléatoire de chiffres à mémoriser, et le temps des coureurs.
• Lorsqu’ils ne parvenaient plus à se reposer sur le temps des coureurs, ils avaient effectué d’autres rapprochements en émettant un commentaire. Par exemple, S.F. ne pouvait pas rapprocher 893 d’un temps de course. Il s’est donc commenté ce nombre : « 893 = 89,3 ans, très vieil homme » On appelle cela l’encodage sémantique, le traitement génératif (ou élaboratif) de l’information.
• Ils ont divisé les suites aléatoires de chiffres en groupes de 3 à 4 chiffres, puis ils ont créé des super-groupes, et des groupes de groupes (voir le graphique)
• Lorsque deux informations se ressemblaient ou si elles étaient classées dans la même catégorie, ils inventaient un contexte (et se racontaient le contexte) afin de les distinguer.
• Ils utilisaient des indices spatiaux pour distinguer l’ordre d’un groupe par rapport à un autre.

 

Pour résumer :

* On mémorise le nouveau en l’associant à ce qu’on connaît déjà.
* On se raconte les informations à mémoriser, on se les commente, on s’invente une histoire.
* On structure les informations à mémoriser, et les groupes ne doivent pas dépasser 4 informations.
* On évite l’interférence proactive et rétroactive en distinguant les informations les unes des autres.
* On se repose sur les lieux de mémoire, ce que les Grecs appelaient les « loci »

 

Reportez-vous à l’image

Donc, si S.F. ou Diario Donatelli doivent mémoriser une suite aléatoire de 16 chiffres, ils la divisent en 4 groupes de 4 chiffres.

Lorsque cela est possible, ils associent le groupe à un temps de course et se le commentent. Par exemple, lorsqu’un groupe comporte les chiffres 3492, S.F. émet dans sa tête le commentaire: « 3492 = 3 minutes et 49.2 secondes, soit près du record du monde du mile »

Lorsqu’il ne parvient plus à se reposer sur ses connaissances, S.F. transforme un groupe de chiffres en âge et se le commente : « 893 = 89,3 ans, très vieil homme »

Puis il crée mentalement  2 super-groupes de 8 chiffres, chaque super-groupe contient donc 2 groupes de 4 chiffres qu’il vient de mémoriser.

Pour mémoriser la place d’un super-groupe par rapport à l’autre, il se le commente : « dans la série aléatoire, j’ai dû mémoriser 34923647 avant 04795544 ». Et s’il y a 3 super-groupes (ce qui n’apparaît pas sur l’image), S.F. et DD emploient les indices « 1er, au milieu, en dernier » ou tout autre indice permettant de situer les groupes dans l’espace.

Pour éviter la confusion, donc distinguer les groupes au sein de la même catégorie (par exemple, la catégorie « temps de course »), DD se commente l’un par rapport à l’autre. Par exemple, « 4203, un temps de 4 minutes et 20,3 s est PLUS LENT que 4105, un temps de 4 minutes et 10.5 secondes »

 

CONCLUSIONS

• Comme on se repose sur ce qu’on connaît pour mémoriser ce qu’on ne connaît pas, plus on connaît, mieux on mémorise. La connaissance est LE POINT CENTRAL. C’est vrai avec cette expérience sur la mémorisation d’une suite aléatoire de chiffres, et c’est vrai avec la mémorisation de tout ce qu’on doit mémoriser. Il faut des points d’ancrage dans sa mémoire à long terme pour mémoriser de nouvelles informations.

• Le sens permet de mémoriser. Il est donc bon de se raconter des histoires. Les histoires sont créatrices de sens. On voit dans cet exemple que pour donner du sens à 893, on peut se dire « 89,3 ans, très vieil homme ». Rückle qui calculait facilement aurait fait « 893 = 19*47 ». Ce calcul est une histoire qu’il se raconte, c’est ce qui donne le sens (pour lui, en fonction de ses connaissances) au nombre 893.

• On va utiliser des lieux réels ou symboliques pour mémoriser. En neuropédagogie, cela correspond aux deux voies du traitement de l’information : la voie du « where » et la voie du « what ». Et le « where » doit venir avant le « what » toutes les fois que cela est possible.

• Un apprenant n’apprendra et ne mémorisera que s’il effectue un travail personnel à partir des informations communiquées par une source : professeur, formateur, livre, site internet. Ce travail personnel doit le conduire à modifier la structure du cours, à personnaliser ce cours, donc à déformer la formation. Voilà le 1er secret des apprenants qui réussissent. « L’intelligence » ou « les capacités » sont secondaires. Il existe certes un héritage génétique, mais l’essentiel de l’intelligence ou des capacités se révèle à mesure que l’on fournit l’effort d’apprendre. C’est un fait scientifique parfaitement documenté. Plus clairement, c’est en apprenant qu’on devient intelligent. De plus, si on parle de génétique, il faut savoir qu’il existe des gènes qui reprogramment d’autres gènes. Autrement dit, on ne confondra pas génétique et déterminisme. Il n’y a donc plus aucune excuse pour ne pas apprendre et s’améliorer sans cesse.

 

Réflexions :

La recette que je partage avec vous dans la partie « pour résumer » est la base de l’apprentissage. Il existe quantité d’autres recettes qui viendront enrichir cette base, s’adapter à ce qu’il y a à apprendre, voire modifier cette base. L’adaptation est le second secret d’un apprentissage réussi.

Non seulement je me repose moi-même sur cette base (or je passe environ 6h par jour à apprendre, depuis plus de 20 ans), et je l’utilise dans la création de méthodes. Je l’ai donc considérablement enrichie, toujours en me basant sur des travaux scientifiques.

Or, j’ai inventé beaucoup de méthodes qui donnent de très bons résultats, j’en partage deux. Comme des personnes peu scrupuleuses s’inspirent plus que grandement de ce que j’écris et ce que je fais (sans jamais me citer bien sûr), je ne partage pas les autres méthodes pour le moment.

 

Sources

Cet article est basé sur les deux sources suivantes, et bien entendu, sur l’ensemble de mes connaissances en neuropédagogie. Seules les personnes avec une formation en psychologie cognitive pourront les comprendre. Exceptionnellement, je ne respecte pas la nomenclature APA (American Psychological Association), je cite les auteurs et établis un lien vers la source.

Jong-Sung Yoon, K. Anders Ericsson,Dario Donatelli : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29105154/

K. Anders Ericsson, William G. Chase : https://www.jstor.org/stable/27851732?seq=1

 

Notes :

Vous pouvez copier et diffuser tout ou partie de cet article, ou le traduire, à partir du moment où vous remplissez les deux conditions suivantes :
• Citer son auteur et www.neuropedagogie.com
• Mettre un lien vers cet article

Merci de respecter un travail conséquent. S’il m’est agréable de partager (je considère qu’aider son prochain est un devoir), il m’est beaucoup plus désagréable d’être pillé par des personnes sans honneur.

Pascal Roulois

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