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La conception, un obstacle à l’apprentissage

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La conception, un obstacle à l’apprentissage

La conception, un modèle explicatif simple, logique et organisé d’après la définition d’André Giordan et Gérard de Vecchi, constitue l’un des obstacles majeurs à la réussite de nos apprentissages. Effectivement, d’une part nous avons toujours une idée générale sur ce que nous allons apprendre, d’autre part nous construisons de nouvelles connaissances en détruisant les anciennes. C’est ainsi que progresse le savoir. Néanmoins, les a priori sont tenaces. Pour quelles raisons croyons-nous à tort qu’on a instauré la République en 1789 ou que le gaz n’est pas de la matière ?

 

 

1. Une expérience amusante pour commencer

 

Prenez quelques minutes pour considérer la liste de mots suivants : orang-outan, Titicaca, somnambulisme, philosophie, cloison, gravité. Cela fait, reportez-vous aux questions suivantes :

  • Avez-vous connecté ces mots à quelque chose ? Une image, un son, d’autres mots ?
  • Etes-vous capable de rédiger un petit texte qui mettra ces mots en relation ?

Considérez maintenant l’énoncé suivant : Peut-on dire du travail qu’il fait violence à la nature humaine ?

  • Avez-vous quelques idées sur le sujet ?

Nous sommes persuadés que vous avez répondu par l’affirmative à toutes les questions. Vous appartenez donc à l’espèce commune de « ceux qui savent tout sur tout ». Rien de plus normal.

 

 

2. Nous savons tout sur tout, mais mal

 

La conception (que les américains appellent prior knowledge) est le fruit d’une expérience personnelle et subjective du monde, de l’environnement, de ce que l’on perçoit, mais aussi de ce que nous communique notre entourage. Par exemple, tout jeune enfant croit que les volcans sont des montagnes qui émergent du sol. Et ils ne nous croiraient pas ni ne nous comprendraient si nous leur révélions que nous sommes essentiellement constitués de vide. D’ailleurs la science ne progresse qu’en dépassant les conceptions, comme en témoigne aujourd’hui la physique quantique.

Chaque jour, nous nous posons d’innombrables questions qui ne reçoivent pas de réponses éclairées, aussi bâtissons-nous un système d’explication. Celui-ci est constitué de nos expériences personnelles, de théories qui paraissent logiques, d’intuitions, d’informations mal comprises ou encore de ce que nous pouvons lire dans la presse généraliste.

Nous nous faisons ainsi une représentation (une conception) du monde, souvent erronée, qui nous empêche d’apprendre. C’est parce que nous savons tout sur tout que nous progressons aussi difficilement, aussi lentement. De l’autre côté, si nous ne savions pas tout sur tout, nous ne pourrions pas apprendre puisque nous ne pourrions rattacher nos connaissances à aucune connaissance antérieure.

Chaque apprenant vient en classe ou en amphi avec son propre système d’explication. Il assiste au cours sans intégrer les données en l’état, mais en les interprétant constamment en fonction de ses conceptions, de son système explicatif. Et s’il ne procédait pas de cette manière, il ne pourrait pas comprendre son cours, tout juste le mémoriser, car comprendre, c’est traduire pour soi. Voilà pourquoi la connaissance est intime ; elle ne se transmet pas, au contraire d’une information. Pour plus de détails sur le sujet, voir Apprendre – Informer – connaître – savoir.

Une expérience menée par des psychologues constructivistes sur plusieurs sujets auxquels on avait soumis des séries de chiffres sans les avertir de leur caractère aléatoire a démontré que ces derniers avaient trouvé des liens entre eux ! En effet, le cerveau effectue constamment des liens, des connexions. Nous devons toujours trouver une raison à toute chose, nous cherchons à tout organiser, nous refusons le hasard.

Bachelard dans La formation de l’esprit scientifique a analysé le statut de la formation de la connaissance :

« En fait, on connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites, en surnommant ce qui, dans l’esprit même, fait obstacle à la spiritualisation ».

Or si le nouveau doit se construire en détruisant l’ancien, bien souvent, il se construit sur ou à côté de, pas à la place de.

 

Ainsi Jean-Pierre Astolfi relate-t-il dans L’école pour apprendre une expérience menée par Laurence Viennot. Celle-ci a demandé à des bacheliers et des étudiants en maîtrise de physique quelles étaient les forces qui s’exerçaient sur une balle qu’on lançait, dans la partie ascendante, au sommet de la parabole et dans la partie descendante, sans tenir compte des forces de frottement et de la résistance de l’air. 50% des réponses à cette question basique étaient fausses. L’auteur écrit :
« Le scientifique sait que quelle que soit la position de la balle (montante ou descendante), une force et une seule s’exerce sur la balle : l’attraction terrestre. Si dans la partie descendante, il y a accord général pour ne faire intervenir qu’une force, pour la partie montante qui précède, nombreux sont ceux qui proposent l’interaction de deux forces antagonistes. Comme si, au moment où il lâche la balle, le lanceur lui conférait un certain « capital de force », lequel tant qu’il existe, permettrait à la balle de résister à l’attraction terrestre. Progressivement, ce capital s’épuisant, on verrait la trajectoire s’incurver jusqu’à ce que la balle retombe tout simplement sur le sol. Le paradoxe est que tous savent bien que s’il existe une proportionnalité entre la force et l’accélération, il n’existe aucune relation entre la force et la vitesse. Mais cela est contre-intuitif. »

Autre exemple : une équipe de psychologues brésiliens est allée à la rencontre de vendeurs de rue qui ne se trompaient pas en comptant ; ils exerçaient cette activité au quotidien. En revanche, l’écrasante majorité n’a pas pu réitérer cette performance en laboratoire.

Dans les deux exemples ci-dessus, nous observons que l’apprentissage est fortement lié au contexte. La difficulté réside dans le transfert, dans l’application de nos connaissances à des contextes différents. Nous croyons savoir mais nous ne savons pas puisque nos conceptions resurgissent. Nous savons dans un contexte, pas dans l’autre. Si l’on peut être rapidement informé, connaître prend du temps. Beaucoup de temps.

Enfin, toute nouvelle connaissance parvient à dépasser l’obstacle précédent constitué par la conception, mais elle devient elle-même un obstacle ; elle est imparfaite puisque le savoir évolue. Ce qui était vrai hier ne l’est plus aujourd’hui. Or, plus les progrès sont rapides et importants, plus l’obstacle sera important. Par exemple, quelqu’un qui découvre une nouvelle théorie révolutionnaire qui réponde à ses questions d’une façon plus adéquate, pour laquelle il investit des heures d’étude aura plus de difficulté à l’abandonner au profit d’une autre théorie plus juste et plus récente.

 

 

3. La formule de la conception

 

Les pédagogues André Giordan et Gérard de Vecchi ont théorisé la formule de la conception :

Conception = f (PCORS) où les variables sont :

P (Problème)
les questions que se pose l’apprenant.
les questions que se pose l’apprenant.
ce que sait déjà l’apprenant, ou qu’il croit savoir. L’ensemble de ses « connaissances » liées au sujet.
O (opérations mentales)
les opérations intellectuelles de compréhension et réflexion qui ont pour objectif d’établir des liens, des connexions.
R (Réseau sémantique)
A partir du cadre de référence et des opérations mentales (C et O), c’est la production du sens, l’élaboration d’un réseau cohérent.
S (signifiants)
c’est ce qui permet d’exprimer la conception, langage verbal, carte, tableau, schéma, etc.

 

 

4. L’explication neuropédagogique

 

La neuropédagogie permet d’expliquer et justifier l’existence des conceptions. Résumons ce que nous avons appris dans Apprendre : une affaire de connexions et répétitions  et Neurones et cellules gliales

  • L’information (ce que nous apprenons par exemple) circule au sein d’un neurone puis entre plusieurs neurones via un processus électrochimique. Et elle circule aussi dans un réseau paralèlle constitué de cellules gliales.
  • Les neurones s’associent selon des besoins qui dépendent de la complexité de l’information à traiter pour créer un réseau, que l’on appelle cluster. On peut dire que notre cerveau propose les ressources nécessaires à la réussite.
  • Les clusters de neurones peuvent eux-mêmes s’associer en clusters plus importants selon la complexité de la tâche, effectuant des millions de connexions.
  • Plus un réseau est sollicité, plus l’information circule rapidement au sein de ce réseau parce qu’une gangue de myéline entoure les neurones.
  • Chaque réseau de neurones a des fonctions propres
  • Un réseau peut prendre des mois ou des années à se construire.

Aussi, la neuropédagogie nous apprend-elle que les conceptions ont une existence physique puisqu’on peut observer les synapses, et les réseaux de neurones activés lors de leur sollicitation.

Plus les conceptions (c’est-à-dire nos croyances) sont anciennes et sollicitées, plus elles communiquent rapidement et efficacement au sein de ces réseaux de neurones : c’est l’effet de la potentialisation à long terme.

Les nouveaux concepts qu’il faut apprendre vont donc entrer en conflit avec les conceptions durablement installées. Les premiers doivent construire un réseau de neurones (qui interagit avec d’autres) où l’information circule plus lentement quand les seconds bénéficient déjà d’un réseau construit où l’information circule plus rapidement en fonction du caractère répété de la conception. Cela pourrait se traduire par Un mensonge mille fois répété est plus vrai pour le cerveau que la vérité. Je vous invite, chers lecteurs, à approfondir ce thème de la conception et des erreurs en lisant mon cours sur les évaluations.

 

 

5. Les solutions pédagogiques

 

5.1. Du côté de l’enseignant (professeur, formateur, tuteur, coach)

 

Un guide, pas un maître

L’enseignant ne doit pas être un maître mais un guide. L’enseignement expositif (présenter les informations) permet de transmettre une information pour ensuite l’évaluer (avec un devoir), pas de vérifier qu’une connaissance a été élaborée par l’apprenant. C’est l’élève qui apprend à partir de ses propres représentations, et c’est lui qui les modifie seul en fonction des éléments nouveaux mis à sa disposition. L’enseignant doit accompagner la transformation intellectuelle de l’étudiant. Pour cela, il doit :

  • aider l’apprenant à structurer les informations ;
  • établir des liens entre l’ancien (ce qui a déjà été appris) et le nouveau (ce qui est à apprendre) ;
  • établir des liens avec d’autres disciplines que celle qu’il enseigne ;
  • établir des liens avec des situations hors contexte pédagogique ;
  • susciter des interrogations.

 

Faire émerger les conceptions des apprenants, partir de ce qu’ils croient savoir

Le professeur commence par ce que connaissent les élèves. Il doit partir de leurs représentations, de leurs conceptions, de leurs questions. Il peut laisser les apprenants partager ce qu’ils croient savoir du sujet à étudier. Son but est de transformer les représentations des apprenants en montrant leurs limites.

 

Créer un conflit entre deux représentations

Dire ou prouver que l’apprenant a tort n’est pas suffisant. Rappelons-nous que la conception de ce dernier est physiquement matérialisée par un réseau de neurones. L’objectif est de réorganiser ce réseau en créant de nouvelles connexions. Ce n’est qu’après que certaines connexions ne seront plus sollicitées, et vont s’effacer sous l’effet de la Long Term Depression.

L’enseignant doit donc laisser les apprenants employer leurs représentations tant qu’elles leur permettent de progresser et résoudre les problèmes.

Mais apprendre sert à anticiper. Aussi l’enseignant doit-il mettre l’apprenant en position de ne plus pouvoir anticiper une situation avec ce qu’il sait déjà. C’est alors qu’il acceptera d’abandonner sa représentation au profit d’une autre plus performante.

L’autre solution consiste à proposer un problème que l’apprenant ne peut pas résoudre avec ce qu’il sait.

 

Susciter chez l’apprenant un intérêt à employer les nouvelles connaissances

L’enseignant doit laisser aux apprenants le temps de réorganiser leurs nouvelles connaissances, de les structurer eux-mêmes, tout en restant à leur disposition pour les guider dans cette tâche.

Puis il doit les conduire à réfléchir sur le sens de ce qu’ils viennent d’apprendre, sur les nouvelles relations que cela produit, et ne plus s’en tenir à l’application ou l’explication. Relations avec d’autres disciplines, mais aussi avec des situations de vie courante, hors contexte pédagogique. C’est tout l’enjeu de la pédagogie systémique que de montrer qu’un problème est en relation avec un système dans lequel il s’intègre mais qui lui est supérieur. Voir macro plus que micro.

Le professeur doit donc proposer des situations où les apprenants vont mobiliser leurs nouvelles connaissances.

Enfin, l’enseignant doit revenir aux conceptions antérieures des apprenants afin que chacun puisse mesurer les progrès accomplis.

 

Enseigner à « apprendre à apprendre »

Que ce soit dans la formation initiale (primaire, secondaire, supérieure) ou dans la formation professionnelle, on n’apprend pas à apprendre. Or expliquer la neuropédagogie et la méthodologie, expliquer la différence entre induction et déduction, entre hypothèse et expérience, information et connaissance, analyse et synthèse (etc.) permet aux apprenants d’être plus disponibles et efficaces pour apprendre et connaître.

 

5.2. Du côté de l’apprenant (élève, étudiant, adulte en formation)

 

Utiliser le plan du cours pour s’informer sur les concepts avant de les voir en classe

L’apprenant a tout intérêt à demander le plan du cours quelques jours avant d’aborder la leçon. Il emploiera ce temps :

  • A se poser des questions sur les concepts qu’il va aborder dans le cours ; bref, à faire l’inventaire de ses connaissances ;
  • Puis à s’informer sur le cours en lisant son manuel ou en consultant des sites Internet ;
  • Ensuite à relever et définir le vocabulaire utilisé par le cours qui lui échappe encore ;
  • Enfin à tisser des liens entre son cours et des leçons antérieures, comme entre son cours et la vie courante.

Procéder de la sorte conduira aux effets suivants :

  • Le vocabulaire défini, l’apprenant comprendra mieux le cours du professeur, il se posera moins la question « Mais qu’est-ce qu’a bien voulu dire le professeur ?». En effet, l’absence de maîtrise du vocabulaire provoque de véritables problèmes dans les apprentissages ; c’est une source d’erreur conceptuelle ;
  • Les conceptions de l’apprenant vont lui apparaître plus clairement. En s’interrogeant sur ses connaissances, il pourra dépasser plus facilement leurs limites et se préparera à construire plus facilement une connaissance plus performante avec l’aide de son enseignant ;
  • Etant informé par avance de ce qu’il va étudier en classe, il préparera son cerveau à structurer bien mieux ses connaissances futures, comme s’il créait des dossiers dans lesquels mettre des fichiers.
  • L’élève mémorisera plus facilement ce qu’il apprend.

 

Une fois le cours acquis, faire un bilan

Ce bilan doit être l’occasion de se poser les questions suivantes :

  • Quels nouveaux problèmes puis-je résoudre grâce à ce que je viens d’apprendre, en quoi ai-je progressé ?
  • Quelles nouvelles questions mes connaissances récentes impliquent-elles ?

 

Apprendre à apprendre

Apprendre s’apprend. Il existe des méthodes, des pédagogies, des connaissances sur le fonctionnement du cerveau lié à l’apprentissage (la neuropédagogie) qu’il convient d’apprécier pour être plus performant, apprendre mieux et plus vite.

 

 

6. La solution systémique : l’emploi des modèles mentaux en pédagogie systémique

 

La démarche cartésienne a pour objet d’analyser un problème en le découpant (analyser = découper) en ses différents éléments simples pour les étudier séparément afin de les identifier. Au contraire, la démarche systémique identifie les éléments par leurs relations au sein d’un ensemble plus complexe.

Par exemple, on ne peut pas comprendre le fonctionnement de l’addition si l’on n’envisage pas ses relations avec la multiplication, la soustraction et la division. Les quatre opérations doivent être enseignées et apprises en même temps. On doit apprendre par systèmes et étudier les relations au sein de ces systèmes, puis entre systèmes parce que chaque système s’intègre dans un système supérieur.

Apprendre, c’est transformer son réseau de représentations, aussi faut-il penser en système, en réseau, en modèles mentaux, pas élément par élément.

Le Mind Map©, appelé également carte conceptuelle ou schéma heuristique (parmi de nombreuses autres dénominations) est un excellent moyen de formaliser des modèles mentaux.

En attendant le cours que je vais développer sur les modèles mentaux, vous pourrez vous reporter au site de l’université de Genève pour approfondir cette question : ici  et ici.

 

Ressources bibliographiques

Astolfi, J.P. : L’école pour apprendre
Bachelard : La formation de l’esprit scientifique
Jensen, Eric P. : Teaching with the brain in mind
Johnson-Laird, Philip : Mental Models
Zull, J : The art of changing the brain

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