Durée de l’attention et cours magistral
Accusé Magistral, levez-vous !
Le cours magistral se voit aujourd’hui accusé de tous les maux. Centré sur l’enseignant ou le formateur, l’apprenant serait réduit à la passivité. Peu impliqué dans le processus d’apprentissage, ce dernier ne serait en rien motivé à suivre des cours qui se résument à projeter des diaporamas, alors que la science prouve que la durée de l’attention se situe entre 10 et 15 minutes. Le cours magistral est donc peu efficace, comparé aux pédagogies actives. Tout cela est rigoureusement faux, et je vais le démontrer en m’appuyant principalement sur la recherche scientifique.
Aux sources des 10 à 15 minutes d’attention
Le cours magistral, d’1 à 2 heures ne serait donc pas adapté aux capacités attentionnelles qui déclineraient après 10 à 15 minutes. Notons au passage que ce déclin après 10-15 minutes, mesuré scientifiquement, s’est transformé, dans l’esprit de tous, en durée. Or le déclin et la durée ne sont en rien synonymes. Si j’ai parcouru 100 m en 15 secondes et 200 m en 40, ma vitesse rapportée aux 100 premiers mètres aura décliné, mais j’en aurais parcouru 200 !!!
On peut donc décliner tout en demeurant performant. D’autre part, notre attention n’est jamais pleinement dirigée vers l’objet dont il se saisit, quelle que soit la pédagogie. Il n’existe pas une attention, mais plusieurs.
Dans un précédent article, j’avais souligné le rôle des médias grand public dans la dissémination de fake news et la nécessité de vérifier les sources, de conserver l’esprit critique et se méfier de nos biais de confirmation.
Sur quelles sources se basent donc ceux qui clament que l’attention dure entre 10 et 15 minutes, soit le format d’un TED ?
Même l’inénarrable John Medina, Docteur en biologie de son état, et auteur d’un best-sellers (qui pourtant n’est pas au programme des Universités où on fait un peu attention aux sources) affirme que la durée de l’attention est de 10 minutes.
Personne n’a donc été attentif plus de 15 minutes lors d’un cours, une conférence, une série, un film ? Pour ma part, la version longue du Seigneur des Anneaux m’a laissé un goût de trop peu. Et si la durée de l’attention dépendait de l’intérêt que l’on éprouve pour le sujet et/ou la manière de le traiter ? Et si cet intérêt était relatif à notre équilibre physiologique (faim, sommeil…), à nos émotions, à la valeur que l’on accorde au sujet comme à la personne qui traite le sujet, parmi quelques autres données ? Et si la manière de traiter le sujet était encore plus importante que le choix de la pédagogie qui en réalité offre un cadre que dans la pratique l’enseignant ou le formateur ne suit pas aveuglément ?
On en viendrait à croire Gemma Briggs, psychologue spécialiste de l’attention, qui nous annonce que la durée de l’attention est contexte-dépendante. L’approche socioconstructiviste nous enseignerait qu’elle est située.
Mais il ne faut pas croire, il faut vérifier.
C’est ce qu’a fait Neil, A. Bradbury, dans un document accessible en lecture gratuite sur researchgate : Attention span during lectures: 8 seconds, 10 minutes, or more?
Pour ceux qui n’ont pas le courage de lire le court article dans son intégralité (c’est un tort, il faut vérifier), voici un résumé commenté de quelques passages.
· Aucune donnée primaire (celles que l’on utilise pour faire de la recherche) ne soutient la limite des 10 à 15 minutes.
· Cette limite dont tout le monde parle provient d’un article d’Hartley et Davies qui traitait non pas de la durée de l’attention, mais de la prise de notes de laquelle on a inféré (à tort) la durée (on appelle cela « l’empan ») de l’attention.
· Ce concept des 15 minutes d’attention provient aussi de Trenaman qui a évalué la récupération (= le fait de se souvenir) du contenu d’un cours enregistré immédiatement après sa diffusion : 41% du matériel (le cours) récupéré après 15 minutes, contre 20% après 40 minutes. Mais d’une part, il s’agissait d’un cours enregistré (canal audio différé), d’autre part en 40 minutes, on traite davantage de matériel qu’en 15 minutes. Il faudrait d’ailleurs répliquer cette expérience, et en réaliser d’autres en modifiant différentes variables pour avoir un résultat probant.
· McLeish n’a pas trouvé de différence dans la récupération de matériel entre un cours présentiel qui durait 25, 40 ou 50 minutes. On s’aperçoit donc qu’à l’heure du tout vidéo, on retient beaucoup mieux en présentiel. Mais encore une fois, il faudrait multiplier les expériences en modifiant les variables. Je dispose de quantités de techniques et astuces (expérimentées) pour améliorer considérablement la récupération de matériel à partir de sources enregistrées (audio et vidéo).
· Le cours magistral n’est pas passif.
Dans quels cas le cours magistral est-il particulièrement recommandé et efficace ?
Avant tout, le cours magistral dispose d’un énorme avantage : il est économique. Également, il est pertinent dans de nombreuses situations, et plus particulièrement celles-ci :
· Pour les cours introductifs. Un apprenant qui découvre un sujet perdra trop de temps à chercher lui-même des informations sur le sujet. Il risque aussi de tomber sur de mauvais documents (par exemple, qui le conduiront à croire que la durée de l’attention est de 15 minutes). En plus, il faut disposer de certaines compétences métacognitives, être capable de travailler seul. Et dans un groupe (enseignement de pair-à-pair) le leader n’est pas toujours le plus savant. En revanche, l’enseignant/formateur/expert qui fait son cours magistral a quand même passé quelques années à étudier son sujet (documentation, compréhension, problématisation, etc.). Tous les savoirs et toutes les compétences ne sont pas équivalents.
· Lorsqu’un expert s’adresse à d’autres experts, pour aborder des sujets pointus. Les experts ont déjà un bagage considérable qui leur permet d’intégrer rapidement les nouvelles informations (comprendre et mémoriser), ils savent travailler seuls, on ne doute pas de leurs compétences métacognitives. Ils ont besoin d’accéder à l’information rapidement, ils savent que les choses sont complexes. L’organisation de l’information dans le cerveau de l’expert est complètement différente de celui du novice. Il peut donc intégrer plus facilement les informations à la volée.
Il faut varier les pédagogies, et c’est pour cela que la pédagogie de la Direct Instruction (et sa variante, la pédagogie explicite) sont efficaces. Pour le même thème, on utilise les pédagogies verticales et horizontales. On ne confondra donc pas la DI avec le cours magistral, une erreur que commettent les non spécialistes. Cela fonctionne aussi pour les adultes, il faut juste effectuer les adaptations de rigueur.
Quelques conseils gratuits (oui, vous avez bien lu) pour les débutants
La pédagogie du cours magistral appartenant à la famille des pédagogies verticales (transmission d’information de l’enseignant/formateur vers l’apprenant), il convient de :
· Soigner sa posture : que chacun se sente unique, poser sa voix, modifier le ton notamment pour accentuer les moments forts. On s’améliore naturellement avec l’expérience, donc il faut juste oser se lancer quand on débute. Le trac pourra toujours être là, je connais de très grands orateurs qui l’ont toujours. Le trac vient du stress, et le stress est une fonction adaptative. Nous sommes tous inégaux devant la manière de répondre au stress, c’est notamment génétique. Pour se libérer du stress, il faut bouger, commencer par une anecdote plus ou moins drôle. Si on peut faire une courte séance de sport avant, cela peut aider. Prendre quelques cours de théâtre est une excellente idée. Et bien sûr visualiser le cours avant de le donner, ainsi est-on plus facilement adapté.
· Maîtriser la langue à la perfection. C’est fondamental pour toutes les activités. Une langue riche permet de mieux mémoriser et de mieux récupérer son matériel pédagogique. Elle rend l’énoncé de ce matériel fluide pour l’apprenant et capte l’attention.
· Ponctuer son cours de courtes pauses et/ou de répétitions et synthèses ou résumés pour laisser le temps à l’apprenant de prendre des notes.
· Partir d’une situation concrète que vit l’apprenant dans son monde (attention à la multiculturalité, aux codes).
· Solliciter des questions et y répondre pour introduire de l’interaction
· Consulter le Derek Bok Center For Teaching and Learning d’Harvard (quelques ressources gratuites en ligne)
· Utiliser les mécaniques du suspense. Le suspense, c’est quand on entend une chaussure tomber, et on attend la seconde (Hitchock, un grand maître). Ce suspense est parfaitement compatible avec l’amorçage et l’entrelacement qui sont deux techniques qui améliorent considérablement la mémorisation, maintiennent la durée d’attention et permettent de traiter davantage d’informations. Il faut aussi savoir comment manipuler ces outils, ce n’est pas aussi simple que cela est énoncé. Il faut une formation pour cela.
Et surtout: être soi ! Ne pas jouer de rôle ! Il n’existe pas un profil-type, et on ne pourra malheureusement jamais contenter tout le monde.
Pour terminer
Il existe d’autres sources qui n’apparaissent pas dans la bibliographie donnée par Neil A. Bradbury et qui confirment l’inexistence de cette « règle » des 10-15 minutes. Je n’ai pas vérifié toutes les sources présentes dans sa bibliographie, mais j’en connaissais quelques-unes, et elles sont bien rapportées.
La conclusion de Neil A. Bradbury, donnée en introduction, est que la durée de l’attention d’un apprenant provient moins de la pédagogie (classe inversée, cours magistral, etc.) que de l’enseignant. De toutes les façons, la pédagogie organise la diffusion de l’information, et au final, c’est toujours l’apprenant qui la transforme en connaissance. Le mécanisme de traitement de l’information, quant à lui, relève des neurosciences (sur le plan biologique) et de la psychologie. La pédagogie n’est donc qu’une partie du problème, et la force de la neuropédagogie est de réunir les trois disciplines.
Un Fabrice Lucchini est en mesure de capter et maintenir notre attention sur n’importe quel sujet.
Nous avons tous eu des professeurs qui, pour être moins fantasques que cet acteur, sont parvenus au même résultat.
Un diaporama n’est pas un mauvais support. Il doit juste respecter les principes de Mayer et Sweller sur la charge cognitive. Il est évident que l’enseignant/formateur qui lit ou dicte son document ne captera l’attention de personne.
Tout apprenant (élève, étudiant, stagiaire) verra un grand intérêt à suivre une formation sur la prise de notes. Il existe un déficit en la matière, souligne Piolat, l’un des grands spécialistes du sujet, alors que cela participe à la réussite des apprentissages. Toujours d’après Piolat, la vitesse de lecture d’un apprenant qui n’a pas atteint le niveau universitaire est de 300 mots minutes environ contre 600 mots lorsqu’on a atteint ce niveau. Le fou de lecture peut espérer atteindre 1200 mots minutes environ. Le speed reading, fast reading et autres faster-than-light reading, c’est du pipeau.
La vitesse d’écriture cursive est d’environ 18 à 24 mots minutes, alors que le débit oral moyen est de 120 mots à 180 mots minutes.
Les données précédentes permettent de comprendre que l’apprenant qui prend des notes est vite soumis à une surcharge cognitive, sa mémoire de travail (l’une des mémoires temporaires qui va transférer les données aux mémoires à long terme et qui va récupérer les données dans les mémoires à long terme pour qu’on en fasse quelque chose) est vite saturée. Il faut apprendre à prendre des notes. Et Piolat écrit que la capacité à prendre des notes participe grandement à la réussite universitaire.
On aura aussi noté que la vitesse de lecture étant bien supérieure à au débit oral, l’écrit demeure le support qui permet de prélever l’information le plus rapidement.
Par conséquent, si le formateur/l’enseignant peut susciter et guider l’attention mais aussi éviter la surcharge cognitive par un ensemble de méthodes et techniques trop longues à exposer ici, l’apprenant peut aussi de son côté :
– Se renseigner sur le sujet qui sera abordé (on rejoint le principe de la classe inversée), et notamment faire particulièrement attention à relever et maîtriser les mots nouveaux. L’apprenant ne vient pas en formation pour apprendre. Il vient pour savoir faire, il veut quelque chose de clef-en-main, utilisable en toutes circonstances. Par conséquent, il est attentif à la forme. D’ailleurs, dès qu’il va à l’école, on lui enseigne à mémoriser la forme (les poèmes, écrire, etc.). En plus, le cerveau humain est un détecteur de structure. Bon, je m’arrête là, mais il y aurait tant à dire, c’est passionnant.
– Se former à la prise de notes, notamment avec la méthode MERAS. J’ai enseigné cette méthode du collège à bac+x, et cela fonctionne très bien. En plus, au début, cela force les apprenants à retravailler leurs notes chez eux. Le livre n’est pas cher et on peut se former seul car il y a un site Internet avec des dictées audio. Il existe aussi une méthode américaine encore plus performante, mais celle-ci est déjà très bien.
Voilà déjà quelques « tips » qui j’espère, vous aideront.
Prochainement
Un article qui expliquera sommairement les limites de l’approche par compétences, en quoi la connaissance permet de dépasser ces limites dans la formation pratique (valable pour toutes les professions intellectuelles, manuelles, et même le sport), en quoi cette division connaissance/compétence est arbitraire. Avec, bien entendu, des sources scientifiques de premier plan !
Placement de service, content marketing à ne pas lire si vous n’en n’avez pas besoin, l’article est fini
En revanche, si vous avez besoin de :
· Formations rigoureuses en neuropédagogie (= neurosciences, psychologie et pédagogie)
· Rendre vos formations neuro-compatibles
· Développer des formations et des méthodes sur-mesure
· Développer les ressources cognitives (mieux mémoriser, réfléchir, comprendre, être attentif…) de vos équipes
· Modéliser et standardiser la performance de vos meilleurs collaborateurs à l’aide d’une approche basée sur les sciences cognitives et qui permet de savoir exactement et précisément comment il s’y prend pour réussir ce qu’il fait, et dont il n’est lui-même pas informé. Vient ensuite la rédaction d’un manuel et une formation.
· Développer une organisation apprenante
· Développer la créativité (au niveau de l’organisation et de l’individu) et l’esprit critique (via les critical thinking skills) sur des bases qui proviennent exclusivement de la recherche
Better call me than Saul ! No bullshit inside !
Note : Vous pouvez faire figurer ce texte n’importe où pour tout usage non commercial, sans modification, à condition que vous établissiez un lien vers neuropedagogie.com et citiez son auteur.
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