Critical Thinking Skills, S01E02
Les critical thinking skills (CTS) conduisent à exercer une pensée basée sur la raison et la réflexion dans le but de décider ce qu’il faut croire et agir dans n’importe quel domaine, en fonction de cette évaluation objective d’une situation, d’un environnement.
Rappel :
Ceci n’est pas un article mais un document de travail pour des formations sur le raisonnement, que je suis en train de concevoir, et qui seront une forme profondément remaniée d’un cours que j’ai donné à l’Université. Mes formations intégreront de nombreux éléments absents ici. Je partage ce document tel quel parce que cela est quand même de nature à aider tout le monde. Raisonner s’apprend, et cela permet effectivement de valoriser ses activités. Ce document est long, et il paraîtra parfois un peu brouillon. L’effet est voulu puisqu’il s’agit de conduire à faire un effort pour clarifier le propos.
Le plan n’est pas communiqué, j’ai mes raisons. Pour les connaître, il faut connaître la manière dont le cerveau traite les informations. J’en fais état progressivement, et vous invite à lire les 2 séquences précédentes, que vous pouvez consulter ici :
CTS S01E00: https://neuropedagogie.com/logique-raisonnement/critical-thinking-skills-s01-e00.html
CTSS01E01: https://neuropedagogie.com/logique-raisonnement/critical-thinking-skills-s01e01.html
Voilà, ça commence
1. Un chercheur fait un cours sur les pédagogies actives sous la forme d’un cours magistral
2. Un homme ou une femme, au langage châtié, vous insulte ou menace.
3. Vous allez dîner dans un restaurant au cadre somptueux mais à la cuisine ordinaire
4. On vous promet le meilleur service mais il n’y a personne à qui s’adresser
5. Une publicité emploie une actrice connue pour vendre un parfum, mais vous ne serez jamais cette actrice
6. Une émission TV fait appel à un docteur en médecine générale pour interpréter les résultats issus de la neuroimagerie médicale sur le cerveau d’enfants qui subissent des réprimandes de la part de leurs parents
7. Un consultant écrit des livres sur un sujet pointu mais ne connaît de ce sujet que des généralités
8. On vante les qualités d’onboarding d’une entreprise, mais il n’y a personne pour vous accueillir
9. Un post sur linkedin qui présente des informations utiles et correctes n’est pas liké parce que les lecteurs n’aiment pas son contenu
Les exemples ci-dessus, tirés de faits réels, présentent des incohérences évidentes. Elles sont évidentes parce que je les ai mises en évidence. Dans votre environnement naturel, la plupart du temps vous ne les percevez pas, parce qu’elles ne sont pas mises en évidence, parce qu’elles sont diluées dans d’autres informations qui viennent s’intercaler entre les raisons et la conclusion, parce que vous fonctionnez en système 1, automatique et rapide, parce que le langage peut ensorceler, parce que vous êtes conditionné par votre culture, vos habitudes, vos relations, bref votre environnement.
Les incohérences dans les exemples suivants sont-elles aussi évidentes que dans les exemples précédents ? Je pense que non, et pourtant, il faut le souligner, votre attention est particulièrement focalisée sur la détection des incohérences, ce qui n’est pas le cas au quotidien.
10. La France, tu l’aimes ou tu la quittes
11. Il n’existe aucune preuve d’un réchauffement climatique, donc celui-ci est une invention
12. Si le gouvernement prend des mesures de confinement pour lutter contre le Covid19, alors c’est une atteinte à la liberté. Comme c’est une atteinte à la liberté, c’est la porte ouverte à d’autres atteintes à la liberté. La dictature n’est pas loin.
13. L’Éducation Nationale est un repère de gauchistes et les parents ont le droit de donner une instruction à domicile.
14. Cela fait une semaine que je travaille sur ce projet, vous ne pouvez quand même pas me le retirer.
15. Tout bon parent doit considérer l’avis de leurs enfants pour les décisions familiales.
16. Vous devriez soutenir l’équipe de France de football pour le prix Nobel de la paix, 65% de nos adhérents ont une excellente image d’elle.
17. Des scientifiques ont prouvé que notre solution est efficace sur 85% des consommateurs.
Aucune des situations précédentes n’est acceptable parce qu’il n’existe pas de cohérence dans la structure de ces propositions, entre les raisons et la conclusion.
Voyons cela en détail.
10. La France, tu l’aimes ou tu la quittes.
Indépendamment, chaque proposition fait sens. On peut aimer la France. On peut quitter la France. Mais l’alliance des deux forme un raisonnement fallacieux, et plus précisément un « faux dilemme ». Ceux qui ne sont pas avec moi sont contre moi, tu signes ce contrat ou tu es bête sont du même ordre.
11. Il n’existe aucune preuve d’un réchauffement climatique, donc celui-ci est une invention.
Il n’existe aucune preuve d’un réchauffement climatique est une proposition logique. Peut-être qu’elle est vraie, peut-être qu’elle est fausse, ce n’est pas le problème ici. Le problème réside dans le fait qu’on veut croire et faire croire que parce qu’on n’a pas la preuve de l’existence d’une chose, cette chose n’existe pas. Ce raisonnement fallacieux s’appelle l’argumentum ad ignorantiam. Je n’ai pas vu Mickael Jackson, donc Michael Jackson n’existe pas est du même ordre. Ca paraît plus clair comme ça, non ?
12. Si le gouvernement prend des mesures de confinement pour lutter contre le Covid19, alors c’est une atteinte à la liberté. Comme c’est une atteinte à la liberté, c’est la porte ouverte à d’autres atteintes à la liberté. La dictature n’est pas loin.
Si le gouvernement prend des mesures de confinement pour lutter contre le Covid19, alors c’est une atteinte à la liberté est une proposition logique. Tout ce qui entrave la liberté est une atteinte à la liberté. On peut certes se lancer dans un débat philosophique sur la liberté, sa valeur, ses limites (etc.), mais ce n’est pas le problème ici. On analyse une situation précise. En l’occurrence, pour faire accepter un point de vue, on va se lancer dans une escalade d’événements inacceptables. Ainsi, peu de personnes accepteraient qu’on porte d’autres atteintes à la liberté, ni que s’installe une dictature. Ce qui est fallacieux, c’est l’enchaînement de ce qui est présenté comme des faits.
13. L’Education Nationale est un repère de gauchistes et les parents ont le droit de donner une instruction à domicile.
L’Education Nationale est un repère de gauchistes est une proposition qui fait sens. Chacun est libre de son opinion sur le sujet. Les parents ont le droit de donner une instruction à domicile est aussi une proposition qui fait sens. Là encore, chacun peut avoir une opinion sur le sujet. L’erreur de construction tient dans ce que les deux propositions n’ont rien d’autre en commun que le thème, et on veut faire accepter les deux. C’est donc la construction des deux propositions qu’il faut rejeter, parce qu’elle ne fait pas sens.
14. Cela fait une semaine que je travaille sur ce projet, vous ne pouvez quand même pas me le retirer.
Quel est le problème de raisonnement ici ? C’est l’appel à la pitié. Certes, une semaine de travail sur un projet, c’est un investissement conséquent, mais il est fallacieux de justifier cet investissement par la poursuite ou non d’un projet. D’autres critères que la pitié sont à considérer dans ce cas précis. On peut très bien éprouver de la compassion au travail, ce n’est pas le problème. Un salarié peut par exemple demander un jour de congé pour convenance personnelle. Dans ce cas, ce n’est pas un raisonnement fallacieux.
15. Tout bon parent doit considérer l’avis de leurs enfants pour les décisions familiales.
On a le droit de penser que les enfants doivent donner leur avis pour les décisions familiales. On a aussi le droit de penser que les parents doivent considérer l’avis de leurs enfants pour les décisions familiales. Cela fait sens au niveau de la construction. On peut en débattre, ce n’est pas le problème. Ce qui constitue le raisonnement fallacieux, c’est le jugement moral et l’appel aux émotions. Ainsi le « bon » parent est celui qui considère l’avis de ses enfants pour les décisions familiales, avec pour implicite qu’un parent qui ne consulte pas ses enfants est nécessairement mauvais. Or c’est fallacieux.
16. Vous devriez soutenir l’équipe de France de football pour le prix Nobel de la paix, 65% de nos adhérents ont une excellente image d’elle.
On peut aimer ou non l’équipe de France de football. On peut considérer, ou non, qu’elle mérite le prix Nobel de la paix. On peut en débattre. Ce qui constitue le raisonnement fallacieux ici, c’est l’appel à la popularité. Ce qui est populaire n’est pas nécessairement vrai, et ce qui est impopulaire n’est pas nécessairement faux. Le même raisonnement fallacieux s’applique lorsqu’on dit que comme le parti X est en tête des élections, il faut voter pour lui ou qu’il est vain de voter pour le camp opposé.
17. Des scientifiques ont prouvé que notre solution est efficace sur 85% des consommateurs.
Ce genre de déclaration est extrêmement fréquent, et constitue un préjudice à la pensée. Le problème est l’appel à une autorité anonyme, non définie. Qu’est-ce qu’un scientifique ? Qui a prouvé que la solution est efficace sur 85% des consommateurs ?
Vous allez me demander : comment repérer ce genre d’erreur, qui porte sur la construction logique ?
Il existe un certain nombre de raisonnements fallacieux, classés en catégories. Nous en avons vu quelques-uns. Nous en verrons d’autres, et je détaillerai.
Il est assez facile de détecter un raisonnement fallacieux lorsqu’il est appliqué sur un contenu éloigné de nos idées.
Par exemple, les personnes qui sont opposées à un sentiment nationaliste ou patriotique vont facilement détecter que « La France, tu l’aimes ou tu la quittes » constitue un raisonnement fallacieux. Spontanément, ils penseront qu’on peut aimer la France et rester, aimer la France et la quitter, ne pas aimer la France et rester, aimer la France et la quitter. Ils verront des alternatives.
En revanche, ces mêmes personnes auront peut-être des difficultés à voir que « Toute personne qui vit en France doit faire ce qu’elle veut, sinon cela signifie qu’on n’aime pas ce pays » constitue aussi un raisonnement fallacieux. C’est aussi un faux dilemme.
Il est donc toujours plus difficile de détecter les raisonnements fallacieux quand ils embrassent nos idéologies, quand ils ont constitué notre pensée. Et lorsqu’on réalise que beaucoup de nos raisonnements sont fallacieux, cela nous est inconfortable, parfois même douloureux. C’est notre histoire, sa logique qui est remise en cause.
Pourtant, c’est un travail salutaire qui conduit à se construire des pensées fines, précises, et qui reflètent objectivement une situation. Le critical thinker cherche l’objectivité, à voir le monde tel qu’il est et non tel qu’il l’imagine.
Les conséquences peuvent être pratiques, comme dans la prise de décision en Management des comportements.
Par exemple, « cela fait une semaine que je travaille sur ce projet, vous ne pouvez quand même pas me le retirer. » constitue un raisonnement fallacieux, et précisément l’appel à la pitié, ou en latin l’« argumentum ad misercordiam ».
En Management, un mécanisme proche est effectivement à l’œuvre dans le « sunk costs fallacy », que l’on appelle encore l’escalade de l’engagement.
L’escalade de l’engagement se produit lorsqu’un décideur continue de mener son projet ou d’investir dans un projet alors que son environnement (des personnes, des mécanismes, des théories…) lui a montré que cela ne fonctionnait pas. Le décideur a déjà beaucoup investi. Il se focalise sur ce qu’il a déjà dépensé, ne peut se résoudre à considérer cela comme une perte, et va être entraîné dans une spirale d’investissements. Son Ego (ce décideur est différent, là où les autres ont échoué, lui va réussir, etc.) prendra le dessus sur la raison. Il va tenter de trouver des raisons à sa décision de poursuivre les investissements, et il en trouvera. Seulement, la raison est-elle liée à la conclusion ou le raisonnement est-il fallacieux ? Cette escalade de l’engagement sera aussi encouragée par la tendance des organisations à éviter le changement. C’est douloureux et coûteux un changement. Peut-être même que le process décisionnel va encourager cette escalade de l’engagement, selon les accointances et les considérations de politique au sein de l’organisation, etc.
Alors, comment éviter l’escalade de l’engagement ? Voici quelques pistes :
• Minimiser au maximum l’Ego. Et les Critical Thinking Skills constituent une aide irremplaçable parce qu’elles visent notamment à considérer objectivement une situation afin de favoriser une décision conforme et non déformée par son Ego. En minimisant son Ego, on est aussi moins sensible à la flatterie et ses effets néfastes. Pensons à cette histoire où des courtisans persuadent que le Roi est vêtu alors qu’il est nu. Le critical thinker n’est pas un courtisan. C’est donc la décision qui est examinée, non le décideur. Comme on n’est pas focalisé sur soi, on fait davantage attention à l’impact que la décision pourra avoir sur les autres, sur l’environnement.
• Séparer l’action de son évaluation. L’action est conduite par un individu ou un collectif, et l’évaluation par un autre.
• N’engager la responsabilité que sur le processus de décision, pas sur le résultat. L’environnement est complexe, les paramètres et relations entre paramètres trop nombreux pour considérer des liens de causalité simple, à savoir qu’une décision, même si elle repose sur des bases apparemment solides (ça a fonctionné dans le passé, ça a fonctionné chez d’autres, etc.) donnera un bon résultat. Il faut considérer l’environnement comme un ensemble d’informations dynamiques, et être prêt à s’adapter. Si seul le résultat compte, la décision peut être paralysée et/ou biaisée.
Pour approfondir l’escalade de l’engagement, c’est par ici : https://www.gwern.net/docs/sunkcosts/1981-staw.pdf
Fermons la parenthèse du Management des comportements dans les organisations, et revenons à notre question précédente : comment repérer une erreur qui porte sur la construction logique ?
Il existe une méthode, mais ce n’est pas ce que nous allons voir aujourd’hui. Pourquoi ? parce que la logique est un calcul d’une part, et parce que d’autre part il ne suffit pas de savoir calculer pour être convaincu par le résultat ni l’appliquer. L’émotion joue un rôle primordial dans l’interprétation du résultat du calcul. On le voit par exemple dans les méta-analyses qui ignorent les études scientifiques qui vont à l’encontre de l’idée que les chercheurs soutiennent, ou encore lorsque tous les indices indiquent qu’un proche a commis un méfait mais on refuse de le croire.
Si on parvient à détecter facilement les erreurs de construction logique dans l’affirmation d’idées et de faits opposés à ceux que l’on défend, et difficilement lorsque les idées et faits que l’on défend sont impliqués, c’est peut-être parce que l’émotion est à l’œuvre. L’émotion au sens psychologique.
Alors je reprends ci-dessous un extrait d’un Livre Blanc que j’ai écrit pour XOS Learning, sur les émotions dans les apprentissages, et notamment dans le e-learning. Je précise que je suis indépendant, XOS est un client. Pour télécharger ce Livre Blanc, vous devrez laisser une adresse courriel. Le Livre Blanc que j’ai écrit s’appuie sur des dizaines de livres et articles scientifiques écrits par des chercheurs spécialisés en émotions. C’est du solide, et ce n’est pas un vulgaire instrument de promotion, sinon je ne l’aurais pas écrit.
https://www.xos-learning.fr/blog/livre-blanc-les-emotions-dans-lapprentissage/
Début de l’extrait de mon Livre Blanc sur les émotions dans l’apprentissage.
QU’EST-CE QU’UNE ÉMOTION ?
S’il n’existe pas de définition universelle de l’émotion, je vais simplifier celle que proposent Bower et Forgas : l’émotion est une réaction intense et brève à un stimulus, qu’il soit général ou spécifique. A ce titre, l’émotion se distingue de l’humeur (ou état d’esprit), de portée plus générale que l’émotion, d’intensité moindre et de plus longue durée. Emotion et humeur se conjuguent pour former l’affect.
Ekman définit l’émotion comme une fonction adaptative, au même titre que le stress, par sa capacité à mobiliser rapidement les ressources de l’organisme pour répondre à un événement inhabituel.
Les neurobiologistes donnent une définition chimique de l’émotion : un cocktail de neurotransmetteurs.
Sans émotion, nous nous rapprocherions d’une machine qui réagirait aux événements de manière algorithmique (pas à pas selon un ordre programmé) en établissant sur une base computationnelle (un calcul) des priorités dans notre interaction avec le monde externe (l’environnement) : une sorte d’Intelligence Artificielle.
Les émotions nous distinguent donc de l’IA, notamment en ce qu’elles révèlent que nous sommes capables de prendre des décisions contraires à nos intérêts personnels (notre monde interne), comme Schindler, un entrepreneur allemand qui pendant la seconde guerre mondiale fit semblant de collaborer avec les Nazis pour en fait sauver de très nombreux Juifs.
Les émotions guident donc les interactions de notre monde interne avec le monde externe, et nous révèlent ce qui dans ce monde externe est important pour nous.
Selon Johnson-Laird et Oatley, les émotions sont des signaux qui renseignent autrui sur nos états émotionnels aussi bien qu’ils nous renseignent sur les déséquilibres dans notre environnement interne. Ce sont des messages qui s’expriment sans mot ni grammaire : on dit qu’ils sont de nature non propositionnelle. Les émotions transmettent donc un message bien plus rapidement, mais aussi avec moins de précision que le langage verbal. Elles nous préparent à établir une médiation entre nos objectifs et des contraintes qui proviennent de deux sources différentes : une source interne (nos ressources intellectuelles limitées), une source externe (la limite de temps par exemple). Pour Johnson-Laird et Oatley, « nos émotions sont une sorte de raisonnement inconscient primitif qui se manifeste lui-même non en propositions, mais en simples signaux. » Attention cependant : le terme « d’inconscient » n’est pas à prendre dans son sens psychanalytique mais au sens de « qui échappe à l’attention concentrée ou focalisée ».
Les émotions, comme réaction intense et brève constituent donc un signal d’erreur, au sens où il se passe quelque chose d’inhabituel dans le monde externe qui revêt une importance pour le monde interne. Ce signal d’erreur nous alerte rapidement et appelle une action.
Fin de citation de mon Livre Blanc sur les émotions dans l’apprentissage.
C’est ce dernier aspect qui m’intéresse ici : le signal d’erreur. Ainsi, si vous élevez vos enfants dans l’idée qu’ils n’ont pas à participer aux décisions familiales, et que vous lisez « Tout bon parent doit considérer l’avis de leurs enfants pour les décisions familiales. », vous serez alerté spécifiquement par le terme de « bon parent ». Comment ? Je ne suis pas un bon parent, moi ? Qu’est-ce que ça veut dire ça ?
Bref, l’émotion, votre détecteur d’irrégularité, a déclenché l’alarme, et il faut agir. La réponse cinglante et argumentée se prépare.
Et bien entendu, lorsque l’idée exprimée par un raisonnement fallacieux est conforme à votre idéologie, l’alarme ne se déclenche pas, et vous ne repérez pas ou difficilement l’erreur de raisonnement.
L’émotion est donc en relation avec l’Ego. Prenez un instant plus ou moins long, et revoyez des situations dans votre vie personnelle ou professionnelle où votre Ego vous a conduit à commettre des erreurs de raisonnement. Par exemple, quelqu’un fait une réflexion générale, et vous la prenez pour vous ; on regarde dans votre direction et vous croyez que c’est vous qu’on regarde, on fait une réflexion désagréable sur votre travail et vous vous sentez agressé, etc.
Prenez vraiment un instant assez long pour y penser avant de poursuivre. C’est important, ce n’est pas cosmétique.
Quand vous avez pris ce temps, vous pouvez poursuivre la lecture de ce document.
Approfondissons l’un des aspects des Critical Thinking Skills, parce que c’est important d’avoir le sens de ce que l’on apprend, de ce que l’on fait. Mais faisons un peu de neuropédagogie auparavant.
Un apprenant ne veut pas apprendre, il veut faire. Il attend une méthode transposable à tous les contextes, ce qui n’existe pas. Et quand il apprend, il fait particulièrement attention aux mots et aux images qui expriment une idée, pas à l’idée elle-même. Il cherche à être informé, pas à connaître. Un héritage de nos lointains ancêtres chasseurs et cueilleurs qui devaient savoir où trouver la nourriture, ce qui correspond dans le cerveau à la voie du Where, avant de savoir quel type de nourriture s’y trouve, la voie du What. Je détaillerai cela dans un petit cours de neurosciences.
L’apprenant attend donc un plan qui lui indique où trouver la nourriture. Ce plan lui donne la forme globale de ce qu’il apprend.
Il cherche la forme à travers le plan, la forme à travers les mots et images employés pour exprimer un sens. Il cherche à être informé. Mais le sens se construit et se reconstruit en permanence avec des mots, des images, des émotions, et cela prend beaucoup de temps, parfois toute une vie.
La construction de la connaissance nécessite une déformation de l’information, une transformation, soit une reconstruction permanente. Elle est purement intime, unique chez chaque apprenant. La connaissance nécessite de se débarrasser de plan, de forme, elle envahit tout le corps (voir l’excellent livre Philosophy in the Flesh pour comprendre cela). Elle est open-ended, ouverte, sans fin ni finalité.
Lorsqu’elle est communiquée, mise en commun, la connaissance subit un élagage, une élimination sous l’action d’une compétition entre neurones. Elle redevient une information, c’est-à-dire une forme qui suit un algorithme. Par exemple, on ne peut exprimer les mots qu’un par un. Seule l’information est communicable, pas la connaissance. Et cette communication s’affine, se précise à mesure que l’émetteur et le destinataire s’échangent des informations.
L’apprenant, donc vous en l’occurrence, devez faire ce travail de déconstruction, c’est-à-dire vous poser des questions, effectuer des liens avec tout ce que vous avez vécu et appris. Et plus vous ferez ce travail métacognitif, plus vous allez comprendre les informations que je transmets, celles que transmet tout professeur, tout formateur, toute source d’information.
Je reviens maintenant à la nature des Critical Thinking Skills, vu par Robert Ennis. Vous trouverez ci-dessous un résumé en anglais, et je commente en français quelques éléments après le lien.
Les critical thinking skills (CTS) conduisent à exercer une pensée basée sur la raison et la réflexion dans le but de décider ce qu’il faut croire et agir dans n’importe quel domaine, en fonction de cette évaluation objective d’une situation, d’un environnement.
La pensée est donc raisonnable parce qu’elle suit des méthodes et processus organisés, reconnus pour produire un résultat objectif.
Cette pensée est aussi réflexive parce qu’elle invite à considérer plusieurs alternatives à l’objet dont elle se saisit, au problème qu’elle doit examiner.
Cette pensée raisonnable et réflexive ne se limite pas à un calcul comme pourrait le faire un ordinateur, mais intègre d’avoir le sens du calcul.
Le calcul raisonnable associé au sens né de la réflexion conduisent donc à être créatif, à examiner des problèmes de manière indéterminée, ouverte, sans se focaliser sur la réponse, qui est une conséquence et non le processus.
Ce processus réflexif s’accompagne d’un examen métacognitif, soit le fait de déterminer la meilleure méthode à employer pour se représenter correctement une situation à mesure qu’on l’évalue, déterminer si on l’emploie correctement, de s’adapter à mesure qu’on pense.
Si les CTS impliquent d’évaluer des arguments par la logique, elles ne se limitent donc pas à cela, et nous le verrons tout au long de ces cours. Et les implications des CTS sont innombrables, dans la vie personnelle et professionnelle.
En attendant, revenons aux émotions qui ont leur rôle à jouer dans le repérage du raisonnement fallacieux, puisqu’il est plus facile de détecter un raisonnement fallacieux qui accompagne une idée éloignée de ce que l’on pense que de détecter le même raisonnement dans les idées que l’on communique.
Le Critical Thinker cherche à être objectif pour prendre les meilleures décisions. Cela nécessite de mettre à distance son Ego. Ce n’est pas facile. Dans certains cas, l’Ego est une solution (par exemple, la fierté et l’orgueil peuvent alimenter la compétition), dans d’autres un problème.
Voyons ici l’Ego comme un problème, dans le sens où il va troubler l’environnement alors que l’objectivité commande de le clarifier. Ce qui nécessite de mettre l’Ego à distance.
Donc, de manière simple et pratique, voici ce que vous pouvez faire :
• Considérez que vos actions et propos ne vous appartiennent plus dès lors que vous les avez produits et émis. Ils appartiennent à l’environnement. Ce sont des informations, ce ne sont pas des connaissances. Les informations, c’est ce qui est extérieur à vous. La connaissance, c’est vous.
• Si on critique (c’est-à-dire qu’on évalue), vos propos et vos actions, ce n’est pas vous qu’on évalue (personne ne sait qui vous êtes, on ne peut voir que ce qui est observable et émettre des hypothèses, considérer des probabilités), c’est l’environnement, dont vos propos et actions font partie.
• Une évaluation (c’est-à-dire la critique) n’est donc pas une agression. Elle peut l’être lorsque l’évaluateur est mal intentionné, ce qui ne représente pas le cas ordinaire.
Pendant cette semaine, reconsidérez mentalement des situations, professionnelles ou non, où votre Ego a été affecté, et mettez de la distance en pensant aux trois points précédents.
Également, au quotidien, vous pouvez vous livrer à un exercice de reformulation, remplacez « je » par « l’environnement » ou « on ».
Par exemple :
• « Je crois que… » devient « l’environnement laisse deviner que… »
• « J’agis ou je pense ainsi parce que… » devient « il existe des raisons et des motifs de penser cela ou d’agir ainsi… »
Enfin, sur le modèle des déclarations 10 à 17, je vous invite à former des raisonnements fallacieux sur :
• Des idées qui sont éloignées des vôtres
• Des idées qui sont vôtres
Note : ce document, du simple fait de sa publication, est protégé par les droits d’auteur. Et je vous vois venir : « ce qui a été émis dans l’environnement ne vous appartient plus ». A cela, je réponds : mon organisme biologique a besoin de se nourrir, et je compte bien tirer un avantage financier de ce que je produis ?
A Bientôt.
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