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Comment fonctionnent les méthodes mnémotechniques ?

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Comment fonctionnent les méthodes mnémotechniques ?

Quintilien, le célèbre orateur avait été l’un des premiers à souligner les limites des méthodes mnémotechniques, cet Art de la Mémoire. Pourtant, que ce soit en Occident, au Japon ou en Russie,  des chercheurs et des praticiens ont depuis le 1er siècle après Jésus-Christ développé d’autres méthodes qui ont prouvé leur efficacité dans de multiples contextes pour un public varié, au point d’être pleinement intégrées dans des programmes scolaires. Et si certains psychologues cantonnent toujours les mnémoniques à la mémorisation de variables isolées, de listes, d’autres ont dépassé cette limite parce qu’au final, on peut réduire n’importe quel texte (donc, n’importe quel cours) ou graphique, ou situation, à une liste d’items ou de schémas, de scripts, d’algorithmes à mémoriser.

Après avoir dans un premier article exposé quelques mnémonistes emblématiques en détaillant leurs performances extraordinaires, je me suis intéressé dans un second article à l’étude de l’efficacité des moyens mnémotechniques sous l’angle de l’expérimentation scientifique, pour aujourd’hui explorer dans les grandes lignes le fonctionnement des procédés mnémotechniques en répertoriant les éléments qui les caractérisent.

 

1. La liste de départ

Une liste de variables isolées n’a pas de sens en elle-même, comme vous pouvez le constater dans les exemples suivants :

Jean Dupont – 384061 – Foumban – 142276 – oculomotor nerve – Arn Sigundstroff – Dschang  -transverse pontine arteries – Mbalmayo – Miranda Fratellini – hypoglossal nerve – 152643 – Batouri – internal carotid artery – Kumba – Fassika Dioukouré – 493144 – Myriana Polimovskaia – abducens nerve – 820402 – Ngaoundéré.

On pourrait ajouter à cette liste des séries de visages, de formes géométriques, de formules mathématiques, mais aussi des sons, et tout autre type de donnée.

 

2. Donner du sens

Je pense que s’il ne fallait retenir qu’un seul facteur explicatif de l’efficacité des procédés mnémotechniques, ce serait bien celui-là : donner du sens aux éléments à mémoriser.

En effet, nous mémorisons très mal ce qui n’a pas de sens quand de l’autre côté, nous cherchons constamment à trouver du sens aux stimuli.

Ainsi, la suite de mots  coléoptère – fauteuil – justice – glycines – évanescent – heure – califourchon – drap – météore – Tunisie sera moins aisée à mémoriser que la phrase Le coléoptère s’assit dans un fauteuil en cuir pour rendre la justice rue des glycines, lorsqu’un groupe évanescent annonça qu’il était l’heure de se mettre à califourchon pour chercher un drap afin de couvrir le météore qui s’écrasa en Tunisie. Et pourtant, la phrase précédente contient bien plus de données que la liste de mots à mémoriser. Notons que la capacité à mémoriser une phrase dépend de l’empan verbal et de l’expertise dans le maniement de la langue, parmi d’autres invariants. Il ne faut donc pas hésiter à couper cette phrase en plusieurs si le besoin s’en fait sentir. Naturellement, on mémorisera toujours mieux une phrase que l’on a inventée.

D’ailleurs, si le mot évanescent ne nous est guère familier, on en cherchera la définition dans le dictionnaire, c’est à dire qu’on mémorisera encore plus de données liées au mot évanescent pour se souvenir dudit mot.

Le sens d’un item se trouve dans les relations qu’il entretient avec les autres items. Et plus les relations sont nombreuses, plus on y trouve de sens, mieux on mémorise.

Faire des phrases pour relier les éléments à mémoriser et leur donner un sens est utile dans de nombreuses circonstances. C’est même la base de la méthode dite du « story system ».

 

3. Grouper, catégoriser, chunker

Grouper et catégoriser les données est en effet un moyen efficace pour les mémoriser. Si je groupe et catégorise les données de ma liste de départ en 4 groupes, je pourrai effectivement mieux les mémoriser. Et c’est normal, puisque je vais leur donner du sens et aussi diminuer la charge cognitive. Grouper, c’est effectuer un chunk, or selon Nairne, la capacité de notre mémoire de travail serait de 4 chunks. Autant la respecter le plus possible.

Liste 1 (patronymes): Jean Dupont, Arn Sigundstroff, Myriana Polimovskaia, Miranda Fratellini, Fassika Dioukouré

Liste 2 (villes du Cameroun, un pays qui m’est cher): Kumba, Ngaoundéré, Foumban, Dschang, Mbalmayo, Batouri

Liste 3 (des nombres): 152643 – 384061 – 493144 – 820402 – 142276

Liste 4 (termes américains qui désignent quelques artères et nerfs crâniens, extraits de mon encyclopédie): internal carotid artery – oculomotor nerve – abducens nerve – hypoglossal nerve – transverse pontine arteries

 

4. Les médiateurs linguistiques naturels

Vous souhaitez mémoriser la plaque d’immatriculation 2984 LDR 527 FA ? Pas de problème, utilisez vos médiateurs linguistiques naturels : 2984 Lions Déjantés Roulent sur 527 Faons Attardés.

Vous avez un problème pour mémoriser les nombres ? Pas de problème, utilisez vos médiateurs linguistiques naturels : A Quimper et Avignon, les Lions Déjantés Roulent sur 5+2=7 Faons Attardés.

Pour nos amis qui ne connaissent pas la France, Quimper est le chef-lieu du département 29, et Avignon, le chef-lieu du département 84.

D’ailleurs, nous utilisons quotidiennement sans le savoir des médiateurs linguistiques naturels :

 

Des acronymes :

ONU = Organisation des Nations Unies
OTAN = Organisation du Traité de l’Atlantique Nord
EDF = Electricité de France
SBAM : Sourire, Bonjour, Au revoir, Merci
HOMES = Huron, Ontario, Michigan, Erie, Superieur (les grands lacs)

 

– Des acrostiches :

Adieu !

L’amour est libre il n’est jamais soumis au sort
O Lou le mien est plus fort encor que la mort
Un cœur le mien te suit dans ton voyage au Nord

Lettres Envoie aussi des lettres ma chérie
On aime en recevoir dans notre artillerie
Une par jour au moins une au moins je t’en prie

Lentement la nuit noire est tombée à présent
On va rentrer après avoir acquis du zan
Une deux trois A toi ma vie A toi mon sang

La nuit mon coeur la nuit est très douce et très blonde
O Lou le ciel est pur aujourd’hui comme une onde
Un cœur le mien te suit jusques au bout du monde

L’heure est venue Adieu l’heure de ton départ
On va rentrer Il est neuf heures moins le quart
Une deux trois Adieu de Nîmes dans le Gard

4 fév. 1915

Guillaume Apollinaire, Poèmes à Lou

Les étudiants en médecine sont de fervents amateurs d’acronymes et d’acrostiches.

 

5. Le traitement intensif des données

Le surapprentissage – qui consiste à consacrer 50% de temps supplémentaire à la mémorisation d’un item lorsqu’on le connaît par cœur – est particulièrement efficace. Les méthodes mnémotechniques, en obligeant à traiter intensivement les données à mémoriser, produit un effet similaire.

Effectivement, regrouper, catégoriser, employer des médiateurs linguistiques naturels (etc.) conduisent automatiquement à un investissement chronophage qui se traduit par un meilleur encodage (le fait de mettre les données dans sa tête) et une meilleure récupération (le fait d’aller chercher les données dans sa tête).

 

6. L’effet générateur

Si vous lisiez une phrase écrite par autrui, vous vous en souviendriez moins bien que si vous l’aviez écrite. Et il en va ainsi pour l’ensemble de ce que l’on mémorise.

L’efficacité des mnémotechniques repose donc sur cet axiome : pour bien mémoriser une donnée, il faut la retravailler.

 

7. Les images mentales visuelles

Si le fait de se représenter visuellement un stimulus peut grandement contribuer à sa compréhension (comme voir dans sa tête un triangle quand on lit le mot « triangle »), le fait de traduire les matériaux à mémoriser en images mentales visuelles contribue grandement à les mémoriser. Il n’est donc pas étonnant que les mnémotechniques s’appuient très largement sur les images mentales.

Pourquoi l’emploi des images mentales visuelles est-il si efficace pour mémoriser ?

Parmi les différentes explications fournies par la psychologie cognitive et qu’il serait trop long de détailler dans cet article, il en est une qui mérite de retenir particulièrement notre attention : la distinction.

En effet, d’une manière générale, on mémorise mieux ce qui diffère que ce qui se ressemble.

Or, un mot est représenté par son phonème (le son émit lorsqu’on le prononce à l’oral), et son graphème (la forme écrite du mot). Si l’on prend en compte des langues qui s’appuient sur l’alphabet latin, la totalité des mots que l’on emploie ne repose « que » sur des combinaisons de 26 lettres (plus quelques signes si l’on prend en compte les accents à l’écrit).

Comme les mots sont perçus (vue, ouïe) avant d’être mémorisés, la richesse des stimuli perceptifs est relativement pauvre.

Comparons les mots « coléoptère » et « évanescent ». Le mot « coléoptère » est le résultat d’une combinaison de 9 signes graphiques uniques (c-o-l-é-p-t-è-r-e), et le mot « évanescent » est le résultat d’une combinaison de 8 signes graphiques uniques (é-v-a-n-e-s-c-t). Pour prononcer à l’oral le mot « coléoptère », on emploie une combinaison de 8 signes phoniques contre 7 signes phoniques pour le mot « évanescent ». Chaque combinaison, phonique ou graphique, est naturellement unique, puisque « coléoptère » et « évanescent » ne sont ni des homophones ni des homographes. Seulement, ces deux mots ont en commun 4 signes graphiques (c – é – t – e ) et 2 signes phoniques. On notera d’ailleurs que ces mots sont assez éloignés ; on aurait plus de difficulté avec le couple «conjoncture»- «conjecture», et encore davantage avec le couple «mer» – «mère».

La perception graphique et phonique du mot « coléoptère » est presque similaire pour chacun d’entre vous.

Mais la plus grande distinction demeure bien dans notre représentation visuelle de ces stimuli perceptifs. L’image que vous avez des mots «coléoptère» ou «évanescent» est unique. Il n’existe sur Terre, aucune personne qui ne partage la même image. Et chacun de nous peut même avoir plusieurs représentations du mot «coléoptère» ou «évanescent».

Pour terminer sur l’emploi des images mentales dans les mnémotechniques, il convient de signaler deux éléments particulièrement importants :
– il n’existe aucune preuve scientifique formelle que les images « bizarres » aident à mémoriser, contrairement à ce qu’énonce Tony Buzan. Chacun choisit les images qui lui conviennent. Elles doivent venir naturellement, sans effort. Dans le cas contraire, il ne faut pas hésiter à se faire donner une image par son entourage.
– il est plus difficile de se souvenir des mots abstraits « évanescent » que des mots concrets « coléoptère ». Un moyen de contourner cette difficulté est de remplacer un mot abstrait « évanescent » par un mot ou groupe de mots concret « tissu très fin, diaphane »

 

8. Les associations, substitutions et interactions

L’emploi des associations et substitutions est également au coeur des moyens mnémotechniques. Imaginons que l’on ait à mémoriser le nom et le visage de 10 personnes différentes.

a. On va dans un premier temps caractériser chaque visage, c’est à dire qu’on va les distinguer en se focalisant sur une particularité physique: X a une pommette plus haute que l’autre, Y a un nez proéminent, Z des cheveux en brosse, etc.

b. Dans un second temps, on va effectuer des associations basées sur le physique, entre le nouveau et l’ancien, c’est à dire entre les visages à mémoriser et les formes qui sont déjà en mémoire: X ressemble à mon voisin, Y me fait penser à un tableau de Picasso, etc. On peut naturellement baser les associations sur les similitudes phoniques. Ainsi, Alexandre Duclin me fait à la fois penser à Alexandre le Grand, et à Bertrand Duguesclin. J’imagine donc Alexandre le Grand se battre contre Bertrand Duguesclin, et je place la scène en Macédoine. Je peux même m’imaginer qu’Alexandre est éliminé par Bertrand dans le gué, pour bien me souvenir qu’Alexandre Duclin n’est pas Alexandre Duguésclin.

c. Dans un dernier temps, on va répéter le nom des personnes nouvellement rencontrées, mais en employant des phrases différentes : Bonjour Monsieur X, je suis ravi de vous rencontrer. Vraiment, Monsieur X, j’apprécie particulièrement ce moment, etc.

 

Remarquons que les associations phoniques sont à la base de la méthode des « peg words » : 1-pain; 2-boeufs; 3-doigts; 4-Quat; 5-zinc, etc. D’ailleurs, ne mémorise-t-on pas mieux un texte en vers qu’un texte en prose ?

Contrairement à ce que l’on peut penser, les associations les plus fortes ne sont pas directes. Elles doivent passer par un médiateur. Ainsi, la relation A-B sera plus forte si je passe par C, ce qui a été vérifié expérimentalement.

Pour me souvenir du couple continent (a) – idéologie (b), je vais passer par le mot frontière (c): dans un continent, il y a des frontières, comme il y a des frontières entre les idéologies.

Enfin, je retiens que plus les interactions entre les items à mémoriser sont riches, mieux je me souviendrai de chacun d’eux ; plus j’ai de la culture, plus je pourrai produire des associations. Et cela fonctionne aussi pour les images mentales. J’insiste véritablement sur le besoin de se cultiver pour être un bon apprenant, d’être curieux de tout.

 

9. Les lieux

Même si nous croyons ne pas avoir le sens de l’orientation, la mémoire des lieux est en général assez bonne.  D’ailleurs, on peut parfaitement avoir une bonne mémoire des lieux, sans avoir la mémoire pour s’y rendre. Il n’est donc pas étonnant qu’ils forment la base d’un procédé mnémotechnique très populaire : les LOCI.

Certains auteurs fournissent l’explication suivante: nos lointains ancêtres -nomades- devaient se souvenir des lieux qu’il fallait fuir (baies mortelles, animaux particulièrement redoutables) aussi bien que des lieux qu’il fallait re-visiter (fruits comestibles) pour leur assurer une chance de survie. Au fait, où se trouve le  bâtiment où vous avez eu votre dernier entretien d’embauche, le lieu où vous avez rencontré votre compagne/compagnon, le plus mauvais restaurant, etc. ?

 

10. Schémas et scripts

Avec les schémas et scripts, nous touchons sans doute aux méthodes mnémotechniques les plus récentes, les plus complexes mais aussi celles qui ont la portée la plus générale. Elles nécessitent non seulement de bonnes connaissances en psychologie de la mémoire et du comportement (pour le formateur), mais aussi une bonne dose de créativité (pour la personne qui les utilisera ensuite) pour les adapter aux items à mémoriser. Il est vraiment difficile de maîtriser les schémas et scripts sans une formation; c’est d’ailleurs pour cela qu’on ne trouvera pas ces méthodes dans les livres grand public.

Qu’est-ce qu’un schéma ?

Dans le présent contexte, le schéma n’est pas un graphique, mais une connaissance générale d’une situation ou événement qui nous conduit à anticiper leur déroulement. En d’autres termes, le schéma est un modèle anticipateur.

Prenons par exemple le schéma de la rencontre. En France, lorsqu’on s’apprête à rencontrer quelqu’un, on anticipe la succession des codes suivants : se saluer oralement tout en se serrant la main ou se faisant la bise ou se donnant une accolade. L’ensemble des codes a été mémorisé pour être réactivé instantanément lors de la circonstance qui déclenche le schéma. Au Japon, le schéma de la rencontre sera différent.

 

Qu’est-ce qu’un script ?

Dans le présent contexte, le script est quant à lui une séquence, une routine qui peut être isolée, ou plus vraisemblablement appartenir à un schéma.

Ainsi, mémoriser la série 13579111315171921232527 ne pose aucun problème lorsqu’on a trouvé la routine n+2 (1+2=3; 3+2=5, etc.)

Il est possible de trouver de nombreux scripts pour les données à mémoriser, et cela concerne différents types de données : chiffres, nombres, textes, etc.

Notons qu’un mathématicien dont j’ai oublié le nom (quand un formateur en techniques de mémorisation oublie quelque chose, c’est mauvais signe n’est-ce pas ? )  a quasiment perdu la raison à force de chercher des scripts dans les séries numériques.

Démontrer l’utilité d’un schéma pour mémoriser quantité de données diverses (comme le fonctionnement d’une machine-outil, les schèmes opératoires à appliquer dans telle ou telle situation, etc.) est trop complexe en si peu de mots mais les formations sont là pour palier cette difficulté. On retiendra que le schéma de la rencontre est un inducteur qui déclence toute une série de comportements mémorisés.

 

11. Pour terminer

L’ensemble des procédés mnémotechniques fonctionne sur les bases que j’ai énoncées dans cet article, surtout sur leur combinaison. Et d’ailleurs, ces bases sont intégrées dans le processus ordinaire de mémorisation; les moyens mnémotechniques n’en revêtent qu’une forme singulière.

Et si chacun d’entre nous peut inventer ses propres mnémoniques, il en existe de très efficaces, pas tous connus, dont je vais vous entretenir en détail dans le prochain article…réservé aux seuls membres de notre réseau social.

 

12. Récréation

 

Je ne peux résister au plaisir de partager avec vous une excellente vidéo du comique François Rollin qui a sans doute la meilleure approche des procédés mnémotechniques :

 

 

 

Note

Ce document est protégé par la législation sur les droits d’auteur mais un lien vers l’article est le bienvenu. Merci d’avance.

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