Barnevernet : avatar du programme nazi lebensborn ?
Un vent de protestation contre le système suédois et norvégien de protection de l’enfance se lève dans de nombreux pays, en raison des dérives dont certaines ont été exposées ici. Dérives qui ont commencé avec l’adoption d’une loi anti-fessée, et qu’on risque de connaître en France, vu qu’une loi s’inspirant de la même idéologie a été récemment adoptée.
Cet article représente la 4è partie de l’enquête sur les dérives du système de protection de l’enfance en Suède et en Norvège. Il ne saurait se comprendre sans la lecture des 5 articles qui traitent de ce problème. Le plan de l’enquête est rappelé ici:
Partie 1 : enfants enlevés par l’État en Suède et Norvège : quelques cas particuliers.
Partie 2 : des cas particuliers aux cas généraux, analyse des dérives d’un système.
Partie 3 : Familles d’accueil et institutions : maltraitance et business.
Partie 4 : Barnevernet, avatar du programme nazi lebensborn ?
Partie 5 : Aux sources des dérives : politique centrée sur l’enfant, théories psychanalytiques, behaviorisme rigoriste, action des « gourous ».
Partie 4 – Barnevernet, avatar du programme nazi Lebensborn ?
Si la Russie, la Lituanie, la Malaisie, la Pologne et l’Inde comptent parmi les pays dont les populations et les services diplomatiques sont les plus attentifs aux dérives que connaissent les pays scandinaves, c’est effectivement au plus haut niveau de l’État de la République Tchèque qu’il faut trouver le verbe le plus fort, puisque le Président Milos Zeman a ouvertement et sans réserves déclaré que le système de protection de l’enfance norvégien était comparable au programme eugéniste nazi Lebensborn.(1)
Quand un homme de cette stature tient des propos aussi forts, il convient de s’y intéresser de près, d’autant que Monsieur Milos Zeman peut témoigner d’une vie dévolue à la lutte contre la dictature et l’arbitraire, ayant eu à subir le joug de l’Empire soviétique.
Le présent article se veut l’exégèse des propos de Monsieur Zeman à la lumière de la science de l’Histoire, mais aussi porter un message d’avertissement. Si je ne crois aucunement que la Suède ou la Norvège, via leur service de protection de l’enfance, reproduisent actuellement le programme nazi Lebensborn, en revanche il est clair que certains excès sont de nature eugéniste et pourraient déboucher sur un tel programme.
Les enfants ont toujours intéressé les États, y compris l’État français qui porte son lot de responsabilité et de culpabilité dans le fait d’avoir enlevé des centaines d’enfants réunionnais à leur famille (2) dans les années 60 et 70.
Mais qu’est-ce que l’eugénisme ? C’est une pratique qui consiste à rechercher la perfection par la sélection. Sélectionner signifie en réalité éliminer. Elle intéresse la biologie mais aussi les sciences sociales. Lorsqu’une organisation ou un État décide d’éliminer les plus faibles, on parle d’eugénisme social.
Or, lorsqu’on analyse les familles victimes des services de protection de l’enfance suédois et norvégiens, on peut établir un profil-type :
– Ce sont souvent des immigrés
– Ce sont souvent des chrétiens ou des musulmans qui ont choisi de vivre selon les préceptes de leur religion
– ce sont souvent des personnes qui ont de bas revenus
– ce sont souvent des personnes qui ont un enfant avec un handicap ou qui souffrent d’une quelconque pathologie
– ce sont souvent des personnes qui ont connu un épisode de déprime
– ce sont souvent des personnes dont on a diagnostiqué au cours de leur vie un retard mental, même très léger, ou qui souffrent d’une pathologie.
Bref, on peut dire que les personnes ciblées sont soit les plus faibles soit des étrangers. Dans tous les cas, les personnes dont on prend les enfants ne répondent pas aux standards, en général.
Ce ciblage de profils-types a été rendu aisé par la tenue de multiples statistiques au service d’un État proactif, caractéristique de l’État providence, caractéristique des États scandinaves.
L’ennui avec les statistiques, c’est qu’ils sont intrinsèquement insuffisants à établir des liens de causalité. Ils ne peuvent qu’intrinsèquement faire état de la preuve d’une corrélation observable. Le traitement des statistiques n’est pas le fruit des statistiques elles-mêmes, mais de leur interprétation. Les inférences que l’on fait sont souvent entachées de multiples erreurs et biais.
L’ennui avec les statistiques, c’est que de nombreux psychologues et sociologues, y compris parmi les plus réputés, n’y comprennent pas toujours grand-chose. Leur formation en la matière n’est pas assez poussée, aussi les statisticiens de métier remettent-ils régulièrement en cause les études scientifiques dans ces domaines. Je vous invite à lire cet article passionnant et très clair (3) du professeur Nicolas Gauvrit.
J’ai lu de nombreux témoignages dans plusieurs langues. J’ai trouvé très peu de personnes qui correspondaient au profil du Suédois ou du Norvégien appartenant à la marge supérieure de la classe moyenne et au-delà. Il m’apparaît difficile de penser que tous sont des parents irréprochables ; les probabilités sont assez faibles. Ce juge américain maltraitant (4) (je ne trouve pas de mot pour qualifier cet “homme”) en est la preuve.
En revanche, il m’apparaît très clair que dans un système social de consensus, toute personne qui échappe aux normes sera davantage suspectée et ses agissements hors-normes dénoncées, si bien que les services sociaux se focaliseront davantage sur cette population. Comme les agents des services sociaux sont peu formés, et souvent n’usent pas de discernement comme on l’a vu dans les parties précédentes, les familles ciblées auront plus de chances d’être sanctionnées. Et cela fera gonfler les statistiques « prouvant » que les pauvres, les étrangers, les malades (…) sont incapables de s’occuper d’un enfant. Nous sommes dans un cas flagrant de biais d’échantillonnage.
Quand on prend un enfant à ses parents, parce qu’on les estime trop pauvres, pas assez éduqués, parce que les enfants souffrent de divers spectres autistiques et pour encore bien d’autres raisons qui n’ont rien à voir avec de la maltraitance ni avec l’administration d’une simple fessée, on peut légitimement s’interroger : n’a-t-on pas basculé dans l’eugénisme social ? N’est-il pas préférable et moins coûteux d’éduquer les parents, de les aider financièrement de manière à ce qu’ils puissent élever leurs enfants dignement selon les standards ?
L’eugénisme est une pratique qui ne fut pas uniquement employée par les Nazi (5). La France y a eu également recours dans ses anciennes colonies (et oui!), ainsi que les États-Unis d’Amérique, la Grande Bretagne, le Canada, le Mexique, la Chine et bien d’autres pays dont les pays scandinaves. Les États se sont même basés sur les tests de Qi pour stériliser les populations, avant comme après la 2è guerre mondiale !
(5) Collectif: The Oxford Handbook of the History of Eugenics, Oxford University Press, 2010
Devons-nous croire que notre technologie, notre éducation, notre savoir nous mettent à l’abri de ces dérives ? Devons-nous croire que les hommes qui ont pratiqué l’eugénisme étaient intrinsèquement mauvais ? Beaucoup pensaient au contraire oeuvrer pour le Bien ou simplement, ils appliquaient les directives sans chercher à les évaluer.
Dans Les Cahiers de la Shoah (6) l’historien Yves Ternon qui parle du rôle des médecins allemands dans l’eugénisme vient brillamment nous éclairer:
« La politique démographique négative a pour fonction d’exclure ceux qui […] sont une menace pour la survie de la communauté. […] Le médecin nazi n’a plus qu’un malade, le peuple allemand, sublimé en un corps dont il faut préserver les cellules saines et extirper les cellules malades.
[…] Ces médecins nazis ne sont pas des monstres. Ils ont simplement reçu une mauvaise éducation. L’humanisme n’est pas leur éthique, la compassion leur est interdite.
[…] Comme l’a démontré Götz Aly, Hitler a acheté les Allemands en maintenant, grâce à une politique d’exclusion, de spoliation et de meurtre de masse, le niveau de vie et les avantages acquis de la classe moyenne, des paysans et des ouvriers, Sans cela le régime n’aurait pas bénéficié aussi longtemps et aussi massivement d’un soutien populaire. »
Autrement dit, Hitler a mis en place un État socialiste et nationaliste qui s’assurait du bien être des Allemands en échange d’un aveuglement et d’une soumission aux standards et au consensus de l’époque. Les cibles de cette politique étaient les personnes qui ne correspondaient pas à ces standards. La politique était appliquée par une masse de suivistes aveugles qui manquaient d’éthique et de discernement. Rappelons aussi que l’Allemagne était très avancée sur le plan technologique et culturel. Cela n’a pas empêché les horreurs que l’on connaît.
On commence un peu mieux à comprendre les propos du Président Milos Zeman.
La suite est encore plus étonnante.
En effet, dans la célèbre revue Nature (7), on apprend que « les gouvernements suédois successifs ont stérilisé plus de 60 000 personnes pour des motifs sociaux et économiques pendant 40 ans, jusqu’en 1976. »
Jusqu’en 1976.
1976, on envoyait déjà des fusées dans l’espace, on était déjà équipé de la télévision en couleur, Abba avait sorti des tubes que l’on chante encore aujourd’hui, et surtout, surtout, on pensait appartenir à un pays développé. Ce n’était pas il y a 40 ans, c’était aujourd’hui.
1976, la Suède n’était pas régie par un gouvernement nazi, mais un gouvernement socialiste et démocrate qui prônait le welfare state. Comme aujourd’hui. La vision positive d’un État bienfaiteur et protecteur, au-dessus des critiques. Grâce au consensus, à l’adhésion de tous en échange d’un aveuglement et d’une soumission.
Si j’ai employé l’expression « welfare state », c’est tout simplement parce que c’est l’expression employée par les chercheurs scandinaves Gunnar Broberg et Nills Roll-Hansen dans leur livre Eugenics and the Welfare States dont on retrouvera de courts extraits sur le site du Michigan State University Press (8) Ce livre aurait pu être titré « Eugenics and Scandinavian States », mais non, c’est la notion de « welfare state », d’État social qui a été retenue ; le lien a donc été établi.
Pour terminer
Si les propos du Président Milos Zeman m’apparaissent quelque peu exagérés, on peut néanmoins comprendre que les bases pour rendre possible un nouvel épisode de la triste histoire de l’eugénisme sont présentes en Norvège comme en Suède :
– Un Etat Providence qui assure un confort à la majorité de la population et qui en échange peut compter sur un large consensus ;
– Une population extrêmement sensibilisée aux écarts de consensus et qui n’hésite pas à dénoncer ceux qui y sont étrangers, sans toujours réfléchir aux conséquences ;
– des standards discutables, comme le fait de mettre un enfant au centre de la politique alors que nous l’avons vu, cela revient à transférer à l’État le pouvoir sur l’enfant ; un État qui ne saurait se substituer aux parents biologiques
– une législation floue, imprécise, qui offre un cadre légal aux débordements
– des agents des services sociaux peu formés, qui ne font pas toujours preuve de discernement ni d’éthique
Pour terminer
Dans le dernier volet de cette enquête, nous verrons que la source des dérives, à l’origine du consensus scandinave en matière de protection de l’enfance, repose sur des théories psychanalytiques infondées, sur un behaviorisme rigoriste obsolète, et sur l’action de gourous.
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