Apprendre une langue, oui, mais à quel âge ?
A quel âge peut-on apprendre une langue étrangère ? Existe-t-il des périodes critiques qu’il ne faut pas manquer ? Jusqu’à quel âge peut-on apprendre la langue de son pays d’accueil ou toute autre langue étrangère ?
Différentes études tendent à montrer que le bilinguisme constitue un atout majeur dans l’acquisition de toute forme de connaissance parce qu’un bilingue est capable de montrer davantage de flexibilité mentale qu’un monolingue, par conséquent d’inhiber un stimulus; il développe ce qu’on appelle « les fonctions exécutives ».
Le cerveau étant un organe particulièrement complexe, divisé en de nombreuses structures qui traitent chacune une partie d’une information mais collaborent -des structures qui de plus ne parviennent pas toutes à maturité au même moment- il est bon de connaître certains éléments neurobiologiques et développementaux pour savoir à partir de quel âge on peut apprendre une langue étrangère, et comment l’apprendre. L’aspect purement neurobiologique sera développé et vulgarisé dans un futur article.
Rappelons également que le langage est un outil de communication qui a servi initialement à coordonner les actions de nos lointains ancêtres chasseurs, leur offrant ainsi l’opportunité de chasser à plusieurs des animaux qui leur étaient interdits de chasser seuls en raison des dangers qu’ils représentaient.
Mais le langage est également un outil de conceptualisation très puissant, surtout pour manier des concepts abstraits. Ainsi, si l’on peut percevoir grâce à nos sens une pomme, on est obligé de s’abstraire de toute perception concrète pour manipuler mentalement un million de pommes.
Bibliographie commentée
La rédaction de cet article s’appuie essentiellement sur deux publications collectives qui font autorité en linguistique, et totalisent plus de 1 800 pages. D’autres livres seront introduits dans d’autres articles.
(1) The Cambridge Handbook of Second Language Acquisition, édité par JULIA HERSCHENSOHN et MARTHA YOUNG-SCHOLTEN, Cambridge University Press, 2013
On se reportera surtout aux chapitres suivants :
15 : “age-related effect” de Julia Herschensohn
16 : « childhood second language acquisition » de Belma Haznedar et Elena Gavruseva
17: « Incomplete L1 acquisition » de Silvina Montrul
(2) Handbook of Research in Second Language Teaching and Learning, édité par Eli Hinkel, Lawrence Erlbaum Associates, Publishers, 2005
On se reportera surtout au chapitre 23:
Georgette Ioup : “Age in Second Language Development”
Faut-il enseigner une langue étrangère au fœtus ?
Cette question n’est pas incongrue puisqu’il existe des programmes commerciaux qui prétendent souscrire à cet acte. En fait, ces programmes commerciaux s’appuient sur une expérience véridique dont ils tirent des conclusions non liées à l’étude elle-même, c’est-à-dire des extrapolations. Les services marketing utilisent alors des artifices langagiers pour suggérer à leur clientèle le message qu’ils souhaitent voir passer. Alors, qu’en est-il réellement ?
Le système sensoriel auditif du fœtus se met en place au 5è mois. Il est précédé du toucher (7è semaine), du goût et de l’odorat (à ce stade, ces deux sens n’en sont qu’un – 11è semaine) et suivi du système visuel (vers la 30è semaine, le fœtus est sensible à une forte lumière dirigée vers lui).
Différentes expériences ont été tentées sur des fœtus pour savoir s’ils étaient capables d’apprendre (3); des expériences sur deux formes d’apprentissage : par conditionnement et par habituation. « Notamment en raison de l’immaturité du système nerveux, est-il possible d’affirmer que le fœtus traite l’information comme le fera le bébé à la naissance et les années suivantes ? Le terme d’apprentissage est-il approprié ? Le conditionnement et l’habituation constituent des formes d’apprentissage très primaires dont sont capables de nombreux animaux, pour lesquels ne sont généralement pas utilisés les termes de traitement de l’information relatifs au domaine de l’apprentissage chez l’homme. Il s’agit tout au plus d’une simple association entre un stimulus et une réaction. Les tentatives d’enseignement in utero, notamment des langues, semblent davantage être le fruit d’une exploitation commerciale intéressante que d’une véritable démonstration scientifique. Il n’en reste pas moins que les stimulations sonores in utero provoquent des préférences à la naissance. »
(3) Lucile Chanquoy, Isabelle Negro : Psychologie du développement, Hachette Supérieur, 2004
Pour être plus clair, il faut savoir qu’à huit mois de gestation, un foetus entend des sons de 80 db, ce qui correspond à un cri. En vérité, le fœtus est sensible à la prosodie, c’est-à-dire à la musicalité de la langue (son, rythme).
Conclusion : il est inutile d’enseigner une langue étrangère à un fœtus, on n’obérera pas les chances d’insertion sociale du futur adulte.
Période sensible ou période critique ?
C’est avec la popularité des travaux de Lenneberg que la notion de « période critique » s’est imposée. Contrairement à l’idée véhiculée par certains praticiens et chercheurs, cette notion n’est pas abandonnée. En réalité, il existe trois chapelles : les chercheurs qui continuent de prouver l’existence de périodes critiques, d’autres de périodes sensibles, d’autres qui utilisent indistinctement ces deux notions.
Une période critique suppose une impossibilité biologique d’acquérir une connaissance, fonction ou aptitude au-delà d’un certain âge. Au contraire, une période sensible signifie qu’il existe à différents âges des fenêtres d’opportunité pour acquérir telle ou telle connaissance, fonction ou aptitude, mais que cette fenêtre dépassée, le fait demeure réalisable, avec cependant plus de difficulté.
Il existe un livre de référence (4) qui se pose comme une synthèse des recherches sur cette thématique, et qui dépasse le cadre de l’acquisition des compétences linguistiques. Les chapitres 8 à 10 concernent plus particulièrement l’apprentissage des langues.
(4) Bailey, Donald B., Jr., Ed.; Bruer, John T., Ed.; Symons, Frank J., Ed.; Lichtman, Jeff W., Ed. Critical Thinking about Critical Periods. A Series from the National Center for Early Development and Learning. Baltimore, MD: Paul H. Brookes., 2001
Cette dissension entre chercheurs au sujet des notions de « période critique » et de « période sensible » repose sur les résultats de leurs travaux. Il convient d’examiner pour quelles raisons il n’y a pas unanimité.
Examen des travaux de chercheurs
L’étude du langage étant particulièrement complexe, elle réunit des équipes de différentes disciplines. Ainsi cohabitent des neuroscientifiques, des psychologues issus de toutes les branches de la psychologie, des sociologues, etc.
La communication inter et intra-disciplinaire est complexe. S’il existe des protocoles de recherche et un vocabulaire communs, chaque discipline développe parallèlement un vocabulaire et une méthodologie de la recherche qui lui sont propres. En plus, les disciplines n’embrassent pas forcément les mêmes problématiques. On retrouve exactement les mêmes problèmes avec les sciences dures : un biologiste n’aura pas la même interprétation du cancer qu’un physicien.
Un même objet d’étude, comme le langage, sera donc examiné différemment.
Tout cela participe à la publication de résultats qui peuvent se rejoindre ou différer.
En matière d’étude du langage, les chercheurs de toutes disciplines confondues, se reposent sur trois activités principales :
– L’emploi d’appareils de mesure. Par exemple, grâce à la neuroimagerie, on détermine des différences entre le cerveau d’un vrai bilingue (qui a appris deux langues très jeune) et un faux bilingue (qui a appris deux langues plus tardivement).
– L’emploi d’expérimentations qui reposent sur des tests. Par exemple, on fait lire un texte en anglais à des adultes arrivés aux Etats-Unis à l’âge de 8 ans, le même texte à des adultes arrivés aux Etats-Unis à l’âge de 30 ans, et on évalue la maîtrise de l’accent. Cet évaluation peut être faite à l’aide d’un appareil ou par des natifs. Les résultats seront alors différents. C’est très certainement cet aspect qui trahit les différences de conclusions entre chercheurs.
– L’étude de cas. Par exemple, on suit le parcours d’une personne arrivée aux Etats-Unis à l’âge de 3 ans, entrée dans une bonne Université, exerçant une fonction élevée dans la société américaine, et on analyse les facteurs qui ont favorisé sa maîtrise de la langue anglaise.
Sans aucunement remettre en question la qualité des chercheurs, leurs résultats sont souvent emprunts d’un certain nombre de biais. Ces biais sont soulignés par d’autres chercheurs qui reproduisent l’expérience ou en font d’autres, pour parvenir parfois (assez souvent même) à d’autres résultats. Par exemple, un chercheur qui aurait fait apprendre l’espagnol à un Français pourrait conclure que lorsque deux langues sont grammaticalement proches, il est plus facile de les apprendre. Un autre chercheur pourrait alors reprendre la conclusion, la tester sur le français et l’italien, ou sur des apprenants d’âges différents et réviser la conclusion du premier chercheur. Il existe ainsi différentes catégories de biais, et la recherche de la vérité scientifique évolue ainsi sous l’action combinée de différentes équipes. Et tout ce processus est très complexe, très long et très coûteux.
A cela il faut ajouter, et cela est particulièrement vrai pour l’étude du langage, la taille de l’échantillon (ici, le nombre de personnes testées et étudiées) qui est souvent trop faible pour être représentative.
Par conséquent on n’est souvent sûr de rien.
Aussi, même si les informations suivantes, puisées à d’excellentes sources, exposent un certain nombre de faits scientifiques, on ne saurait les prendre pour des vérités ultimes. On pourrait tout au juste dégager de grandes lignes.
Apprentissage de la langue natale (L1) et période critique
Sur ce sujet précis, il y a consensus : il existe une période critique pour l’apprentissage de sa langue natale (appelée L1).
L’acquisition de la L1 est avant tout liée au développement de l’audition. Un bébé sourd qui n’est pas rapidement rééduqué deviendra muet. Des personnes sourdes qui ont recouvré l’audition après la puberté grâce à des appareils perfectionnés ont tout juste été capables d’apprendre du vocabulaire ; ils n’ont pas pu accéder à la phonologie, la morphologie et la syntaxe.
Il en va exactement de même avec les enfants sauvages (dont le plus célèbre pour les chercheurs a été nommé Genie), qui prouvent que l’acquisition du langage est aussi liée aux interactions avec la société humaine. Aucun enfant sauvage n’a jamais pu apprendre une langue, contrairement à ce que laissent entendre les films, comme la légende de Greystoke (Tarzan).
Les parents ne devraient pourtant pas s’inquiéter outre-mesure si leur enfant de 2 ans n’accède pas encore au code de leur langue natale, et demeure prisonnier des « ahou », « ouaha » et autres « youpyoup ». Il faut en effet prendre en compte le phénomène de l’apprentissage latent. Il est tout à fait possible qu’un enfant accumule le vocabulaire et la syntaxe sans prouver qu’il est capable de les utiliser. Cette preuve observable, il peut la donner à 3 ans, rattrapant son « retard » de langage. J’ajoute, pour finir de rassurer les parents, que la preuve observable (le fait qu’un enfant s’exprime) est liée à la latéralisation du cerveau, or celle-ci s’achève normalement vers 7 ans. Cela signifie que le stock de vocabulaire de l’enfant est beaucoup plus important que ce qu’il ne laisse paraître.
Apprendre sa langue natale : une nécessité pour s’adapter
Rappelons que les jeunes organismes humains viennent au monde incomplets. Le système visuel, par exemple, n’est pleinement fonctionnel qu’à 11 ans !
Ces jeunes organismes incomplets sont inadaptés au monde dans lequel ils évoluent. Ils savent que la première chose à faire est de séduire leurs parents dont ils dépendent pour tout. Le sourire de Bébé va alors renforcer l’attachement de ses parents. Mais Bébé ne restera pas toujours bébé, et ses parents ne pourront pas toujours s’occuper de lui.
Alors les jeunes organismes savent qu’ils devront s’adapter rapidement à leur environnement, et fort heureusement, ils sont équipés d’un cerveau bayesien qui leur permet de faire des inférences à partir des stimuli (informations) présents dans leur environnement.
Si on appelle par son prénom un bébé qui ne parle pas encore et qu’on lui tend en même temps différents jouets, il apprendre son prénom, seul stimulus unique. Il va effectivement raisonner ainsi : il y a x% de chances que « prénom » soit mon prénom, non pas le nom du jouet, puisqu’on m’a tendu différents jouets. Et il ira même beaucoup plus loin : « il y a x% de chances que lorsqu’on cite mon prénom, on veuille attirer mon attention » ; « il y a x% de chances que lorsqu’on attire mon attention on veuille m’enseigner quelque chose ». Et plus ces jeunes organismes sont confrontés à ces expériences, plus le pourcentage va croître.
Bref, l’être humain est équipé d’un système d’apprentissage probabiliste universel et très perfectionné qui lui permet de s’adapter à son environnement en faisant des inférences, et sans qu’on ait besoin de lui enseigner quoi que ce soit. Et plus cet environnement est riche en stimuli, plus il va apprendre, et ce, même s’il ne le prouve pas par ce qu’on appelle « une performance observable ».
L’attachement des parents étant acquis, les jeunes êtres humains vont rapidement comprendre la nécessité d’apprendre le langage pour s’adapter à leur environnement. En effet, le langage est le vecteur principal de la socialisation. Communiquer afin d’établir des réseaux relationnels est ce qui est de plus immédiatement utile, de plus immédiatement efficace pour l’adaptation d’un organisme humain : souvenons-nous des chasseurs évoqués plus haut.
Apprendre une langue étrangère, oui mais à quel âge ? Le « big picture »
Si le lexique s’apprend assez facilement tout au long de la vie, dans une communication de 64 pages destinée à des experts en linguistique (5), Michele Daloisio définit les périodes critiques pour l’apprentissage d’une langue étrangère en ces termes : « il est potentiellement possible d’acquérir une ou plusieurs langues étrangères avec des compétences égales à celle d’un natif à l’intérieur d’une des fenêtres temporelles suivantes. »
De 0 à 3 ans, on serait capable d’acquérir une « prononciation parfaite et [développer] des habiletés linguistiques », capacité conservée jusqu’à 8 ans, mais avec plus d’effort. S’ensuivrait une période sensible jusqu’à 22 ans où « les fortes potentialités neurologiques […] permettent de développer une bonne compétence linguistique, mais il est de plus en plus difficile que cette compétence soit comparable à celle d’un natif. »
« Après la période sensible, l’acquisition profonde d’une langue est beaucoup plus difficile, et elle est influencée par des facteurs contextuels (contexte naturel ou institutionnel, quantité et qualité de l’input, prestige de la langue objet d’étude) et personnels (intelligence, style d’apprentissage). »
(5) Michele Daloisio, L’enseignement précoce des langues étrangères, Guerra Edizioni,
Cette communication de Michele Daloisio nous offre la « big picture », la trame générale dont on a besoin avant d’approfondir…et nuancer.
Seule la position sur l’intelligence et le style d’apprentissage est discutable.
En effet, l’intelligence n’est pas scientifiquement codée, et si on pense à l’intelligence telle que mesurée par les tests de Qi, les études montrent que des adultes qui ont accédé tardivement à une L2 (1ère langue étrangère) tout en performant presque comme un natif n’avaient pas un Qi supérieur à la moyenne. Seule la mémoire de travail verbale, évaluée par exemple par le test de Daneman et Carpenter, était supérieure.
Quant à la notion de style d’apprentissage, très en vogue chez les enseignants et dans le milieu des ressources humaines, les différents modèles (il y en à une centaine) ont été analysés (6) par des chercheurs indépendants; 13 ont été retenus pour leur sérieux et étudiés en profondeur, et seul le modèle d’Allinson et Hayes a rencontré les 4 critères retenus en science : la consistance des résultats, la fiabilité du protocole test-retest, la validité du construit, et la validité des prédictions du modèle. Il est intéressant de noter que le fameux MBTI (Myer Briggs Typological Indicator), très en vogue (des millions de personnes passent ce test chaque année), n’a réuni que deux critères. De nombreux autres reproches ont été formulés à l’encontre de la notion de style d’apprentissage, comme des confusions, l’absence d’interdisciplinarité (etc.). Je détaillerai certainement tout cela dans un autre document parce qu’il m’apparaît intéressant de dévoiler comment le recrutement de personnel ne suit pas un protocole rigoureux et valide. Le fonctionnement des Sociétés repose sur de nombreux mythes.
(6) Frank Coffield, David Moseley, Elaine Hall, Kathryn Ecclestone : Should we be using learning styles? What research has to say to practice, Learning and Skills Research Centre, 2004
Apprentissage implicite vs apprentissage explicite : une question d’âge
En matière d’apprentissage des langues, il existe une différence fondamentale entre les enfants, les adolescents et les adultes.
Les enfants de moins de 7 ans disposent d’une capacité phénoménale pour apprendre les langues, qui repose essentiellement sur l’apprentissage implicite. Ils n’ont pas besoin d’une démarche structurée, organisée, dirigée ; ils apprennent au contact de leur environnement.
Il est donc inutile de donner des cours de langues (comme on le ferait pour un adolescent ou un adulte) à un enfant de moins de 7 ans. C’est au contact d’allophones de son âge, via les liens de socialisation, qu’il va apprendre naturellement les langues étrangères. Une étude de cas montre même que les enfants de moins de 7 ans préoccupés par l’apprentissage d’une langue étrangère performent moins bien que les autres dans l’exercice de ladite langue.
Un enfant de cet âge bénéficiera en revanche de la multiplication des inputs, c’est-à-dire, de la fréquence et de la durée d’exposition à une langue étrangère. Celle-ci peut se faire de différentes manières : écouter de la musique, séjourner à l’Etranger, évoluer dans un milieu multiculturel… L’idéal reste la transmission de la L2 par un parent allophone, ainsi que des séjours à l’Etranger de moyenne durée
D’une manière générale, les courts séjours linguistiques (inférieurs à un mois) n’ont qu’un effet marginal sur l’acquisition de la langue. Cela est évidemment vrai pour les enfants de moins de 7 ans, mais l’est aussi pour les autres enfants, les adolescents et bien entendu les adultes. Ce n’est par exemple qu’au bout de 5 semaines d’étude intensive de l’espagnol qu’on a observé un accroissement de la matière grise.
Toute personne âgée de plus de 6 ans conserve un potentiel d’acquisition implicite, mais celui-ci est sensiblement moins performant. On suppose que parce que l’enseignement à l’école suit une démarche structurée, le cerveau se reconfigure pour s’adapter à ce type d’enseignement. On observe le même phénomène avec les images mentales visuelles : on perd progressivement sa capacité d’imagerie visuelle à mesure que l’on vieillit, au profit d’un recodage phonologique, sans doute parce que l’enseignement est dispensé essentiellement avec des mots.
Par conséquent, après 6 ans, on peut commencer à prendre des cours de langues, organisés, structurés et explicites.
Les adultes et les adolescents sont ceux qui bénéficient le plus de l’apprentissage explicite, et dans les cas où les cours sont de bonne qualité, leur performance peut égaler et surpasser celle des enfants qui ont acquis la L2 très tôt.
Conclusions :
– Les enfants de moins de 7 ans n’ont pas besoin de véritables cours de langues. Il vaut mieux les confronter à des allophones et les laisser apprendre par eux-mêmes, ou les laisser apprendre une L2 lorsqu’un des deux parents la parle aussi.
– Il faut multiplier les inputs avec les langues étrangères, et cela peut se faire de nombreuses façons.
– Les séjours linguistiques de courte durée n’ont pas d’impact déterminant sur l’acquisition de la langue. En revanche, ils peuvent avoir d’autre utilité comme l’approche culturelle. Mais si on veut apprendre une langue, plutôt que de multiplier les séjours linguistiques, il vaut mieux envoyer son enfant à l’Etranger pour une période de 6 mois.
– A partir de 7 ans, on observe une diminution graduelle de la capacité d’apprentissage implicite au profit de la capacité d’apprentissage explicite. C’est alors que les cours de langue prennent tout leur sens.
L’âge de l’apprenant et les différents aspects de l’apprentissage d’une langue étrangère
La Grammaire Universelle de Noam Chomsky (elle ne se réduit pas aux règles de grammaire apprises sur le banc de l’école) ne rencontre pas vraiment d’opposition quant au fait que le cerveau est biologiquement programmé pour apprendre une langue. Les oppositions se forment sur des points importants pour les chercheurs, pas pour les enseignants de langue, ni pour les apprenants. Par exemple, Steven Pinker pense que pour produire le langage, le cerveau a recyclé des structures antérieurement dévolues à d’autres tâches (en biologie évolutionniste, on parle d’exaptation). On rejoint en quelque sorte la théorie du recyclage neuronal pour la lecture : la lecture est un phénomène trop récent pour que le cerveau ait développé des structures spécifiques, aussi a-t-il recyclé celles qui étaient réservées au traitement des images. Pour Philip Lieberman, l’acquisition du langage demeurerait une compétence apprise (et non innée), facilitée par le fait que le cerveau dispose de manière innée d’une capacité à traiter des informations de toute nature pour produire des inférences et y trouver du lien, mais pour le langage il ne procéderait pas différemment de l’acquisition d’autres compétences. On rejoint en quelque sorte l’apprentissage bayésien.
Dans tous les cas, le cerveau est un détecteur de structures biologiquement programmé pour chercher dans son environnement les stimuli qui ressembleraient à une langue.
Que ce soit pour l’acquisition d’un accent, de la grammaire, du vocabulaire, de la lecture et bien sûr de la littéracie, la tendance qui se dégage au sein de la communauté scientifique est de croire qu’on peut apprendre une langue à tout âge, en raison notamment de la plasticité synaptique.
Il n’existerait alors pas d’impossibilité biologique (période critique) pour apprendre des langues étrangères tardivement (et non sa langue natale qui est, elle, exposée à une période critique), mais une règle marquée de plusieurs exceptions : il vaut mieux apprendre les langues étrangères tôt pour bénéficier des périodes sensibles.
De la naissance à 4 ans
De la naissance à 4 ans, le bébé et l’enfant doivent évoluer dans un environnement linguistique riche en inputs, en stimuli. Il ne faut pas lui parler comme à un bébé, mais lui parler normalement. Il ne faut pas le laisser devant la télévision, y compris devant des émissions « de son âge » : il risque de mal associer les images (trop rapides) et le vocabulaire (d’effectuer de mauvaises inférences selon la théorie bayésienne), de ne pas comprendre leur association, et cela peut le stresser. Les parents peuvent lui enseigner une langue étrangère si eux-mêmes la parlent nativement et s’ils l’emploient usuellement dans la famille. Autrement dit, il ne faut pas se forcer à parler une langue étrangère avec son enfant, on ne lui dispense pas un cours de langue. Comme le cerveau de cet enfant n’est pas encore latéralisé, sa performance observable (le fait qu’il prouve qu’il sait parler) est inférieure au stock lexical et grammatical, c’est-à-dire à ses ressources linguistiques réelles. Ajoutons que selon Piske, Mackay et Flege, le fait d’apprendre une langue étrangère à cet âge ne signifie pas qu’on sera automatiquement dépourvu d’un accent une fois parvenu à l’âge adulte.
De 5 à 10 ans
Si un enfant apprend sa première langue étrangère entre 5 et 10 ans, sa maîtrise globale devrait être inférieure à celle d’un natif monolingue, même si d’une part il existe des variations individuelles, et d’autre part certains aspects de la langue peuvent encore être maîtrisés à l’égal d’un natif. C’est essentiellement la performance dans les aspects (sous-domaines) phonologiques qui diminue. La performance morphosyntaxique demeure encore assez correcte. La vitesse de traitement des informations en L2 est plus lente, et les stratégies de traitement de l’information diffèrent des natifs monolingues, avec des types d’erreurs que ces derniers ne commettent pas.
Après 7 ans
De la naissance à 7 ans, l’apprentissage d’une L2 doit se faire naturellement dans le cadre de liens de socialisation avec des allophones, sans cours organisés : l’apprentissage est implicite.
Au-delà, plus on vieillit, plus il faut passer par l’apprentissage explicite, c’est-à-dire apprendre les langues étrangères dans un cadre organisé et structuré, soit prendre des cours. L’apprentissage implicite demeure toujours biologiquement possible mais la performance est sensiblement moindre.
C’est alors que les capacités cognitives individuelles (surtout la mémoire à court terme verbale et la mémoire de travail verbale) vont entraîner des différences importantes entre apprenants, à la fois dans l’encodage de tous les aspects de la langue, mais aussi de la restitution, à l’exception de la production écrite lorsque celle-ci n’est pas limitée dans le temps.
Il semble alors que la différence entre les apprenants précoces et tardifs résulte principalement de la vitesse de traitement de l’information.
Des facteurs non directement liés aux capacités intellectuelles vont aussi marquer des différences individuelles importantes :
– la valorisation de l’apprentissage : valoriser l’apprentissage de la langue, des personnes qui l’enseignent, du goût de l’effort…
– la valorisation de la culture associée à la langue que l’on étudie
– la culture générale, les compétences dans d’autres domaines, l’éducation
– la durée et la fréquence d’exposition à la langue (l’entraînement)
Lorsque les apprenants précoces (enfants) et tardifs (adultes) évoluent en contexte informel et naturel, la performance linguistique des premiers est globalement meilleure. Lorsque les deux évoluent dans un contexte formel et organisé (le cours), les apprenants précoces perdent globalement leur avantage au profit des apprenants tardifs. Ces derniers auraient appris à apprendre et auraient développé des compétences cognitives qui feraient défauts aux apprenants précoces qui ont appris leur langue de manière naturelle. Cette différence se réduit naturellement à l’apprentissage de cette langue et ne saurait s’appliquer à l’apprentissage d’autres langues ou d’autres disciplines.
Le bilinguisme
Le bilinguisme constitue un avantage important pour l’individu, non seulement parce qu’ajouter des langues à son répertoire améliore son adaptation à un environnement mondialisé, mais surtout parce que cela développe la flexibilité mentale, la capacité d’inhiber un stimulus. Par conséquent, cela améliore la capacité d’abstraction puisqu’il faut s’abstraire d’un stimulus physique perceptible. Si je peux percevoir une pomme, je dois en imaginer un million ; cela développe donc la capacité d’abstraction. Lorsque je regarde un tableau de Picasso, je dois m’abstraire des formes physiques. Lorsque je lis « Ik hou van you », je dois m’abstraire (inhiber) de la perception physique (« forme graphique » des mots et « forme sonore ») pour les traduire (les recomposer) dans ma L1.
Seulement, le bilinguisme est loin d’être monolithique, il en existe plusieurs formes.
Généralement, on subdivise les bilingues en deux grandes catégories : les bilingues précoces qui ont appris la L2 avant la puberté et les bilingues tardifs qui l’ont apprise après. Ces derniers font montre d’une performance grammaticale inférieure aux natifs monolingues aussi bien qu’aux bilingues précoces. Ils sont également plus lents dans le traitement des informations en L2.
En bilinguisme précoce (avant la puberté), il est important de différencier l’apprentissage simultané de la L1 et L2 depuis la naissance de l’apprentissage séquentiel de la L2 qui commence vers 3 ou 4 ans, lorsque les fondations de la L1 ont été posées.
Une étude des structures du cerveau via la neuroimagerie médicale permet également de différencier les vrais bilingues des faux bilingues.
L’apprentissage de la L2, le contexte familial et l’oubli de la L1
Certaines études prouvent que lorsque l’anglais est la langue natale d’un des deux membres du couple, le second en tire profit. En revanche, si les enfants d’immigrés en pays anglophones parlent anglais, leurs parents n’en profitent pas.
D’ordinaire, un enfant qui apprend des langues étrangères (L2, L3, etc.) va les ajouter à son répertoire sans que cela ne nuise à la pratique de sa langue natale (L1).
En revanche, de nombreuses études concomitantes prouvent qu’un enfant immigré va progressivement oublier sa langue natale si celle-ci est minoritaire (et même si ses parents continuent de la pratiquer), lorsqu’il accèdera à l’apprentissage de la L2 – majoritaire – de son pays d’accueil. L’apprentissage de la L2 se produit donc au détriment de la L1. Après une période où cet enfant connaît une sorte de bilinguisme, la maîtrise de sa L1 diminue. Au bout de 3 générations d’immigrés, la L1 sera complètement oubliée : il n’y a donc pas de transfert de la langue minoritaire.
Par exemple, si un enfant canadien francophone qui suit sa scolarité au Canada anglophone n’oubliera pas le français (et inversement), un enfant arabophone qui s’installe en France en viendra progressivement à oublier l’arabe au profit du français. Egalement, un enfant espagnol qui s’installe au Nouveau-Mexique ou au Texas, des Etats américains où l’on parle souvent espagnol, apprendra l’anglais sans oublier l’espagnol.
Il faut donc distinguer la langue minoritaire de la langue de la minorité. La langue minoritaire est celle dont on peut se passer pour être adapté à son environnement. La langue de la minorité peut être une langue majoritaire. Par exemple, un Canadien francophone qui travaille au Canada anglophone appartiendra à la minorité, mais sa L1 (le français) sera majoritaire au même titre que l’anglais. La langue majoritaire est celle dont on a besoin pour être adapté à son environnement : c’est la langue de l’école, de l’administration, du travail…
Même des enfants immigrés âgés de 2 ans préfèrent parler la langue majoritaire, y compris lorsque plus tard ils sont inscrits dans une école bilingue.
Pour terminer
Il n’existe pas d’âge pour apprendre les langues étrangères ; on peut commencer n’importe quand. Il est même vivement conseillé d’apprendre les langues étrangères tout au long de la vie pour conserver un cerveau en bonne santé et reculer l’apparition de pathologies neurodégénératives. On parle d’un recul de 5 ans. L’apprentissage des langues étrangères fait même partie de la Learning Therapy et de différents programmes de Brain Fitness dans le cadre de la stimulation cognitive.
Naturellement, plus on apprend une langue tôt, plus on peut bénéficier pleinement des périodes sensibles.
Jusqu’à 7 ans environ, on peut profiter entièrement de l’apprentissage informel, au-delà, on passera par des cours structurés.
Cet apprentissage informel peut naturellement se poursuivre après 7 ans ; des adolescents qui jouent à des jeux en ligne avec une communauté internationale vont communiquer en anglais (et aussi en russe pour les FPS) et apprendront beaucoup de cette manière. En revanche, le fait de visionner des séries sous-titrées présente un intérêt moindre dans la mesure où il ne s’agit pas d’une communication : on ne produit aucun contenu.
Les différences individuelles s’expliquent par deux facteurs principaux : des facteurs cognitifs, la « bosse des langues » relative à la capacité de la mémoire à court terme et à celle de la mémoire de travail ; des facteurs non cognitifs comme l’instruction (l’apprentissage, le choix de la pédagogie), le travail personnel, la multiplication des inputs et la valorisation de la langue et de la culture apprises.
Instrument d’adaptation à un environnement nouveau, la maîtrise de la langue du pays d’accueil est pour les immigrés aussi bien que pour les pays accueillants une nécessité impérieuse de premier ordre, sous peine de conduire à de nombreux problèmes systémiques.
Il n’existe pas qu’une seule pédagogie comme je l’expliquerai dans un futur article. En attendant, dans le prochain article nous verrons comment choisir ses langues.
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