Apprendre à apprendre sur Coursera – comment comprendre ?
Comment comprendre quand on ne comprend pas ? Comment piloter notre compréhension ? Après avoir exposé et expliqué le cours de Barbara Oakley et Terrence Sejnowski sur Coursera, je critiquerai certains aspects avant de développer et approfondir à l’aide de cas concrets.
Le cours du programme apprendre à apprendre sur Coursera : exposition et explication
Sur le plan neurobiologique, la compréhension est liée à la plasticité synaptique. Si je ne comprends pas un sujet, c’est que les connexions n’ont pas été effectuées. Les synapses sont des points de connexion, et la plasticité est le fait de modifier. Les neurones, qui véhiculent l’information, se développent tout au long de la vie au sein de l’hippocampe. On peut également apprendre à tout âge, il n’y a pas d’âge limite. L’exercice physique favorise la création de neurones. Évoluer dans un environnement enrichi, être stimulé par des personnes et participer activement aux événements favorise la création de nouvelles connexions. Les relations sociales sont capitales. L’apprentissage modifie les connexions.
La compréhension utilise deux modes opératoires, appelés pensée diffuse et pensée focalisée. Il est impossible de recourir aux deux modes en même temps; c’est soit l’un, soit l’autre. La pensée focalisée est le fait d’être concentré sur un sujet. Elle est consciente. La pensée diffuse est inconsciente, c’est-à-dire que le processus de compréhension s’effectue lorsqu’on n’est pas focalisé sur un sujet.
La compréhension repose beaucoup sur les analogies, les images mentales visuelles et l’entrelacement (interleaving). Dans sa définition la plus large, l’entrelacement est le fait de varier : passer du mode diffus au mode focalisé, varier les techniques et stratégies d’apprentissage.
Le travail en équipe favorise la compréhension, parce que les échanges sociaux sont un moyen d’évaluer le degré de compréhension et se corriger.
Relire ses notes ou son cours à l’infini -bachoter- donne l’illusion de compétence. On reconnaît qu’on a déjà lu ses notes, son cours, mais cette relecture est insuffisante à entraîner la compréhension. Reconnaître n’est pas connaître. J’ajouterai qu’en psychologie, on emploie les termes de rappel libre et rappel indicé. Pour connaître, il faut apprendre de différentes manières, apprendre les éléments d’un cours via différentes sources.
Si le bachotage entraîne l’illusion de compétence, l’apprenant qui connaît réellement les faits et concepts qu’il avait à apprendre peut souffrir du syndrome de l’imposteur. Le syndrome de l’imposteur est le fait de croire qu’on ne sait pas. J’ajouterai que le syndrome de l’imposteur est (essentiellement ?) issu de la plasticité synaptique : quand on apprend beaucoup, le cerveau est en proie à de profondes modifications, et on peut avoir l’illusion de ne plus se souvenir de ce que l’on a appris. Cela engendre le stress qui ajoute encore à ce sentiment. Il faut donc dormir.
Pour favoriser la compréhension d’un sujet, il faut aller du général au particulier. On se fait une représentation d’ensemble de son environnement (du sujet), on se donne une « big picture », un tout. C’est comme si on créait un dossier dans notre cerveau, dans lequel on allait mettre des fichiers. Cela permet de former un pattern, un modèle, un cadre, une structure globale. Ensuite, on examine les parties. Petit à petit, on assemble ces parties entre elles afin de créer des chunks. Un chunk est un ensemble d’informations reliées entre elles par un sens, et cela prend moins de place dans la mémoire ; c’est comme si les données étaient compressées avec 7-zip (ou n’importe quel logiciel de compression/archivage). Par exemple, NASA est le chunk de National Aeronautic and Space Administration.
La compréhension peut être bloquée par l « Einstellung ». L’ « Einstellung » est l’ensemble des connaissances déjà stockées dans notre mémoire qui peuvent bloquer la compréhension d’un nouveau sujet. C’est une conception, préconception ou encore préjugé. Il faut alors désapprendre ce qui est stocké pour apprendre le nouveau.
Le sommeil favorise la compréhension.
Le modèle pédagogique employé par la DLI (Defense Language Institute) pour l’apprentissage des langues se base sur de nombreuses répétitions assorties d’échanges avec des interlocuteurs natifs.
Le degré supérieur de la compréhension est la créativité. Selon Thomas S.Kuhn (The structure of scientific revolutions), la créativité est le fait de personnes jeunes ou de celles qui étudient une discipline en venant d’une autre discipline.
La compréhension : critique
Sur le plan neurobiologique, si les neurones transmettent l’information via l’influx nerveux, et participent à la compréhension, d’autres facteurs largement inconnus, liés aux cellules gliales, interviennent également. Les informations seraient également transmises via un réseau parallèle formé de cellules gliales. Mais on n’en sait trop peu pour pouvoir en discourir. En décembre 2016, j’avais assuré une formation en neuropédagogie auprès de professeurs, et l’un d’eux m’avait reproché de ne pas avoir abordé les travaux récents en neurosciences. Mais il faut faire attention avec les travaux récents: la plupart des décourtes scientifiques sont fausses, en raison notamment du fameux “publish or perish”, des sources du financement de la recherche, des biais méthodologiques, des biais statistiques. Et cela touche même la recherche médicale dont le journal le plus sérieux sur la question, The Lancet, annonce que plus de la moitié des études qui sont pourtant “peer-reviewed” sont fausses.
J’en profite pour effectuer une petite digression et relayer les recherches des professeurs Yves Agid et Etienne Hirsh, spécialistes du vieillissement cérébral. Dans le vieillissement normal, on ne perd pas 10 000 ou 100 000 neurones par jour. C’est un neuromythe. Un cerveau qui ne souffre pas perd très peu de neurones au cours du vieillissement. Un cerveau de 80 ans en bonne santé ne montre que très peu de différences – sur le plan biologique – avec un cerveau de 20 ans avait renchéri le professeur Agid lors d’une conférence organisée par l’INSERM. Bien entendu, il ne faut pas prendre cela au pied de la lettre, c’est juste une image.
Un autre neuromythe qui risque d’être colporté par les vidéos de Coursera qui semblent un peu trop imprécises sur le sujet : un environnement enrichi n’a pas d’influence sur la neurogénèse, la fabrication de neurones. En revanche, cet environnement enrichi favorise les connexions entre neurones ; et encore, les expériences ont été tentées sur des rats.
Également, on ne désapprend pas une connaissance ; c’est une conception behavioriste (l’extinction). Il existe une trace mnésique de ce qu’on a appris, même si elle peut être infime. Une nouvelle connaissance, plus juste, ne va pas remplacer une ancienne connaissance, erronée. Elle va s’ajouter. Par exemple, pour de très nombreuses personnes, les nuages, ce n’est pas de l’eau, alors que le cours sur le cycle de l’eau a été vu tout au long de la scolarité.
Quant à la créativité, elle est effectivement le fait de deux catégories de personnes : les très jeunes et celles qui viennent d’une autre discipline. Mais il faut y rajouter deux autres catégories : les autodidactes (Steve Jobs, Mark Zuckerberg, Bill Gates, Thomas Edison, Charles Darwin d’une certaine manière, etc.) et les systémiciens.
La compréhension : approfondissement
Il y a quelques années, j’avais déjà écrit plusieurs articles sur les thèmes abordés par le programme « apprendre à apprendre » de Coursera, je vous invite à les lire :
La différence entre être informé, connaître et savoir
La conception (appelée Einstellung par Barbara Oakley) qui bloque l’apprentissage
L’apprentissage en groupe
Le rôle des images mentales dans l’apprentissage
Le rôle des connexions et de la répétition dans les apprentissages
Le rôle des neurones et des cellules gliales dans les apprentissages
Le rôle de l’alimentation et de l’exercice physique dans l’apprentissage
Les mécanismes généraux de l’apprentissage
Pour mieux comprendre les chunks, je vous invite à lire :
https://neuropedagogie.com/procedes-mnemotechniques/efficacite-methode-mnemotechnique.html
https://neuropedagogie.com/procedes-mnemotechniques/fonctionnement-mnemotechnique.html
Il est difficile de faire un cours sur la compréhension qui soit clair pour tous. Je vais donc passer par quelques exemples concrets. Je développerai et approfondirai très certainement un jour le mécanisme de la compréhension de manière plus académique. Tout ce qui suit est donc très succinct.
Cas 1
Vous surprenez une conversation entre deux amis qui parlent d’un film qu’ils sont allés voir au cinéma il y a deux semaines, mais sans le nommer. Vous ne comprenez pas de quel film ils parlent, parce qu’il vous manque un prérequis. Quand on ne comprend pas, c’est parce qu’il nous manque des informations.
→ Conséquence : quand l’absence de compréhension d’un sujet est lié à des lacunes, il ne faut pas hésiter à aller consulter le programme des années passées ; il ne faut pas hésiter à reprendre les bases, et suivre le cheminement. Trop peu d’apprenants font cela, ils s’évertuent à relire inlassablement leur cours, croyant qu’au bout de la 20è ou 100è fois, ils vont comprendre. Dans le sport de haut niveau, les bases sont sans cesse retravaillées. Dans les écoles (collège, lycée) asiatiques, on retravaille sans cesse les bases.
Cas 2
Vous surprenez une conversation entre deux amis qui parlent d’une tierce personne. C’est un véritable Écossais dit le premier au second. C’est vrai, renchérit celui-ci, il a une telle faculté à s’emporter. Et le reste de la conversation se poursuit sur ce mode. Comment savoir si ces deux personnes parlent d’une personne de nationalité écossaise, ou d’une personne qui a simplement une mentalité que l’on prête aux Écossais. Il manque le contexte. Sans le contexte, la compréhension peut être ambiguë, voire complètement erronée. D’une certaine manière, les comédies de Molière ou le théâtre de Boulevard jouent sur cette ambiguïté relative à l’absence de contexte (et qui rejoint les prérequis) : c’est le quiproquo.
→ On ne comprend pas un sujet parce qu’il nous manque le contexte. Celui-ci est essentiel. Si on détache un texte littéraire du contexte qui amené l’auteur à l’écrire, on ne le comprend pas. Si on détache une formule mathématique du contexte et des circonstances qui ont conduit son découvreur à la découvrir, on ne la comprend pas. On pourra peut-être l’appliquer, mais ce sera un calcul sans le sens. La maîtrise du vocabulaire courant et spécialisé est capitale parce qu’elle permet de saisir les subtilités d’un sujet, de lui donner un contexte précis sans lequel la compréhension peut s’égarer. Lorsque j’ai été employé par l’Université américaine Bucknell pour donner des cours de Critical Thinking Skills aux étudiants dans le cadre du programme « Bucknell en France », j’ai insisté sur la nécessité de définir précisément les domaines et situations pratiques qui nécessitaient ensuite leur évaluation. On pose les différents éléments de son sujet (dissertation, problème de mathématiques, cas pratique, etc.), on les définit précisément, on examine les relations entre eux. Et après on calcule. Polya l’avait déjà écrit. Tous les enseignants ne cessent de le répéter aux élèves comme aux étudiants, mais ceux-ci pensent que c’est cosmétique, alors que c’est essentiel. L’un des grands spécialistes de la compréhension, Steven Pinker, a dit qu’on pouvait mener un raisonnement juste sur la base d’une compréhension erronée, et donner un résultat erroné. Chez un apprenant qui n’a pas de lacunes, la majorité des erreurs vient d’une compréhension erronée du problème à résoudre. Les Critical Thinking Skills, poussés au plus haut niveau, permettent de pousser la compréhension et le raisonnement au plus haut niveau.
Voici quelques articles sur les Critical Thinking Skills, à lire dans l’ordre :
https://neuropedagogie.com/logique-raisonnement/critical-thinking-skills-definition.html
https://neuropedagogie.com/logique-raisonnement/critical-thinking-skills.html
https://neuropedagogie.com/logique-raisonnement/utilite-critical-thinking-skills.html
https://neuropedagogie.com/logique-raisonnement/evaluation-critical-thinking-skills.html
Cas 3
« Pourquoi le hérisson ne peut-il pas traverser la route ? » Cette question, Alain Sotto me l’avait posée lorsque nous avions fait une conférence pour l’Union Européenne en 2011, et j’avais été incapable d’y répondre correctement. Depuis, je la reprends systématiquement dans les cours sur la compréhension. Mais si, le hérisson traverse la route puisque ce phénomène est observable ; il suffit de se mettre aux deux extrémités de la route, et on verra bien que le hérisson traverse la route. Mais non, il ne traverse pas la route puisque certains peuvent se faire écraser. Ils n’ont donc pas complètement traversé la route. Parle-t-on d’un hérisson en particulier ou de l’espèce animale hérisson ? Et on peut continuer ainsi.
Définissons rapidement notre sujet en s’arrêtant aux catégories, pour aller plus vite. Qu’est-ce qu’un hérisson ? Un animal. Qu’est-ce qu’une route ? Une construction humaine.
Un animal peut-il traverser une construction humaine ? Du point de vue de l’Homme, oui. Pas du point de vue de l’animal. Du point de vue de l’animal, la construction humaine fait partie de son environnement, comme les arbres. Il n’a pas été le témoin conscient de la construction de la route, il n’a sans doute pas de vocabulaire pour la définir. Par conséquent, aucun hérisson ne peut traverse une route, en revanche, tous les hérisson continuent à cheminer dans leur environnement.
→ Conséquence : pour comprendre, il faut changer de point de vue, de représentation. Passer d’un point de vue interne à un point de vue externe, passer d’un point de vue objectif à un point de vue subjectif, passer d’un texte à un graphique, etc.
Dans cet article, vous trouverez d’autres exemples sur la nécessité de modifier ses représentations pour comprendre, mais aussi, vous découvrirez qu’on peut savoir calculer sans comprendre
Cas 4
Dernier exemple pour comprendre le phénomène de la compréhension. Dans ce même article, j’avais posé les bases pour enseigner le mécanisme de la résolution d’équations à deux inconnues à des enfants de 10 ans. En cherchant activement via le mode focalisé (pour reprendre le cours de Barbara Oakley), je n’y suis pas parvenu. C’est en aidant un ami à déménager que les cartons m’ont donné la solution (j’étais donc en mode diffus). Qu’y a-t-il dans ces cartons ? Rien n’était écrit, c’était inconnu. Je portais donc un carton (1x) d’un certaine taille, puis encore un autre carton de la même taille (1x), pour faire 2 cartons qui contenaient quelque chose d’inconnu (2x). Puis nous sommes passés à des cartons d’une autre taille (y). La suite, vous connaissez.
→ Conséquence : pour comprendre, il faut passer du concret à l’abstrait. Finalement, Maria Montessori avait déjà mis cela en application il y a fort bien longtemps. Aujourd’hui, on appelle cela le Natural Learning.
On voit bien que ce que Barbara Oakley a énoncé dans l’une de ses vidéos est parfaitement exact : le cerveau continue de travailler en mode diffus lorsqu’on quitte le mode focalisé. On peut donc exercer sa réflexion successivement sur plusieurs sujets, sans avoir à viser leur terme.
Je ne saurais finir sans faire la promotion de la systémie et d’un documentaire qu’il faut voir pour comprendre que tout est lié, qu’on apprend le nouveau sur la base de l’ancien : history of the world in two hours qui existe aussi en français.
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